Arbel Fauvet Rail (Douai) : L'argent public au secours des riches, pas des emplois11/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1858.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Arbel Fauvet Rail (Douai) : L'argent public au secours des riches, pas des emplois

Arbel Fauvet Rail à Douai est la dernière usine française de production de wagons de marchandises. Dans son secteur d'activité, elle arrive en troisième position en Europe, derrière une usine roumaine et une usine polonaise, toutes les deux à capitaux américains.

L'usine de Douai emploie encore 445 salariés. L'effectif a fondu depuis 1970, époque où plusieurs milliers de travailleurs se trouvaient encore sur le site. Il y a eu les plans dits "sociaux" successifs. Il y a eu aussi le découpage du site en 1985 en deux unités séparées, au gré des opérations financières menées par les grands groupes industriels et financiers: rachats, sous-traitances, externalisations, filialisations, etc.

Le voleur crie au secours

Aujourd'hui, le patron crie au secours et menace de fermer en licenciant tout le monde. Le fret SNCF est en baisse constante, dit-il. C'est sans doute la seule chose vraie dans son discours, car les choix politiques des gouvernements successifs ont favorisé le transport par la route. Mais combien a rapporté le contrat avec la Cogema en 2001 pour les wagons de transport de produits nucléaires? Il ne le dit pas, et les moyens de le vérifier ne sont pas donnés aux travailleurs car la trésorerie est bien opaque. Pas moyen non plus de vérifier ce qu'a rapporté le partenariat privilégié avec Eurotunnel en 1999, ou les joint-venture avec la Russie et la Chine en 1995 et 1996. Voilà pourtant des profits qui pourraient servir aujourd'hui!

Le patron dit aussi que l'usine n'est plus assez rentable et annonce déjà 95 licenciements en décembre 2004, dont 62 départs FNE, pour, dit-il, "supprimer toutes les productions qui ne génèrent pas une marge suffisante". Qu'est-ce qu'une marge suffisante? Ce n'est pas dit non plus. Mais on sait que les actionnaires en veulent toujours plus. Les autres usines européennes offrent de meilleurs prix et raflent les marchés, disent-ils, car les Américains qui les dirigent profitent des bas salaires en Roumanie et en Pologne. Il ne leur viendrait surtout pas à l'idée de rogner sur leurs marges! Ils préfèrent rogner sur les emplois. Sur les salaires aussi: depuis deux mois, le personnel est en chômage technique une semaine sur deux...

Qui est ce patron qui pleure misère? Parmi les actionnaires, il y a le groupe Valois qui opère dans une trentaine de pays, avec par exemple des juteux contrats de containers ou de wagons frigorifiques aux USA et en Allemagne. Enfin, l'actionnaire principal n'est pas un inconnu: il s'agit de Michel Coencas, qui eut son heure de célébrité quand il fut condamné pour abus de biens sociaux dans l'affaire Urba Gracco, un cabinet d'études qui servait entre autres de pompe à finances pour le Parti Socialiste. Ce monsieur s'est bien remis de ses déboires puisqu'il est maintenant 24e fortune de France! Voilà donc les gens qui tendent la main vers les pouvoirs publics pour demander de l'aide. Il y aurait de quoi être méfiant? Eh bien non.

Les collectivités publiques au secours du voleur

Bien sûr, c'est au nom de la "défense de l'emploi" que la droite et la gauche unies ont réalisé le montage financier souhaité par les actionnaires d'Arbel Fauvet Rail (AFR). En voici quelques éléments:

-Lille (maire PS, Martine Aubry) a acheté des terrains appartenant aux AFR à Lille pour 1,6million d'euros.

-Douai (maire UMP, Jacques Vernier) a acheté des terrains des AFR pour 1,2million d'euros.

-État: étalement de la dette fiscale et sociale sur 30 mois: 4,2 millions d'euros.

-Conseil régional Nord-Pas-de-Calais(voté par PC, PS, UMP, UDF): avance remboursable sur 5 ans de 3,5 millions d'euros.

-Finorpa (un organisme d'État "au service de l'investissement industriel"): 1,5 million d'euros.

-La Communauté d'Agglomération du Douaisis (président: Jacques Vernier, UMP) a décidé une nouvelle opération d'achat du terrain et des bâtiments: 4,2 millions d'euros.

Le bouquet, dans cette affaire, c'est que Michel Coencas ne s'engage qu'à verser 2,5 millions d'euros (dont 1 million cette année, le reste viendra plus tard... peut-être). Mais il n'est même pas tenu de s'engager à préserver les emplois. On sait que ces gens-là ne sont pas tenus par leurs promesses. Mais là, il n'y a même pas de promesse à faire! La seule qui sera tenue, c'est celle des 95 licenciements pour la fin de l'année.

Quant à l'argent public, il risque fort de disparaître à jamais dans les comptes en banque des actionnaires. Il n'y aura probablement pas de remboursement, et il y aura probablement fermeture de l'usine quand même. Tout le monde le sait: le secrétaire du syndicat CGT de l'usine a déclaré que "ce sont les contribuables du Nord-Pas-de-Calais qui vont financer les AFR, mais les institutions publiques risquent d'y laisser des plumes". Le maire de Douai a reconnu que "l'opération était peut-être risquée". On ne lui fait pas dire! Mais alors, pourquoi payer quand même, et sans contrepartie, si ce n'est pour financer le patron à fonds perdus?

Qu'est ce qui serait possible ?

Au Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, les élus du groupe Lutte Ouvrière ont évidemment refusé de voter les crédits pour le prêt aux actionnaires des AFR. Car cet argent ne servira qu'à alimenter un peu plus les profits de ceux qui se sont rempli les poches en exploitant les travailleurs de l'usine depuis des dizaines d'années. Et si les travailleurs avaient la possibilité de contrôler les comptes d'individus comme Coencas, ils s'apercevraient vite que les licenciements ne sont pas justifiés et que Coencas a largement les moyens de payer.

Mais au-delà, si la société était organisée en fonction de l'intérêt général, il est évident qu'elle ne mettrait pas sur les routes des milliers de camions, mais qu'elle préférerait utiliser et renforcer le réseau de transport ferroviaire, plus sûr et moins polluant.

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