Renault-Sovab (Batilly) - l'arrêt de la Cour de cassation sur l'intérim : Un camouflet pour Renault29/01/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/01/une1852.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Renault-Sovab (Batilly) - l'arrêt de la Cour de cassation sur l'intérim : Un camouflet pour Renault

Depuis 1998, 150 intérimaires ont porté plainte aux Prud'hommes contre la direction de la Sovab pour recours abusif au travail intérimaire. Lors de procès successifs, les intérimaires avaient tous obtenu la requalification de leur contrat de travail en contrat à durée indéterminée (CDI). Une trentaine de travailleurs -présents dans l'usine lors de l'énoncé des jugements les concernant- avaient vu leur mission d'intérim transformée en contrat fixe, même si tous ne sont pas restés. Tous les autres avaient obtenu des indemnités conséquentes pour licenciement abusif. Ces jugements, considérés à juste titre comme des succès, viennent d'être confirmés par la Cour de cassation.

Renault n'avait guère apprécié ces décisions de justice et avait fait appel. Tous les appels ayant été rejetés, il s'était adressé à la plus haute juridiction du pays, la Cour de cassation. Lors du procès, les déclarations de l'avocat général de la Cour de cassation, affirmant que "le travail temporaire est une forme d'exercice du travail... moderne et qui donne de la souplesse", ne manquaient pas d'inquiéter sur la décision à venir des juges.

Mais le 21 janvier, ceux-ci ne l'ont pas suivi. Ils affirment au contraire dans l'énoncé du jugement: "Le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise." Et de préciser: "Le recours à des salariés intérimaires ne peut être autorisé" que pour répondre à un "accroissement temporaire d'activité de l'entreprise, notamment en cas de variations cycliques de production." Or à la Sovab, depuis sept ans sans discontinuer, la production n'avait cessé d'augmenter!

La Cour de cassation ne fait d'ailleurs que répéter ce que dit la loi qui encadre, en principe, l'emploi d'intérimaires. Mais cela fait belle lurette que Renault et bien d'autres s'assoient dessus et que cela est tout à fait toléré par les gouvernements, qu'ils soient de droite ou se disent de gauche.

Ainsi en 1998, l'inspectrice du travail chargée de la Sovab avait exigé, par courrier à la direction, que celle-ci embauche en fixe et sans délai les 639 intérimaires présents sur le site de Batilly lors de son passage, car les intérimaires servaient à la marche normale de la production. Et au lieu que le préfet intervienne contre le délinquant Renault, c'est au contraire l'inspectrice du travail qui fut sermonnée. La préfecture lui demanda fermement de ne pas trop embêter Renault. Rappelons que le préfet était aux ordres, à l'époque, d'un gouvernement de "gauche plurielle" dont la ministre du Travail n'était autre que Martine Aubry...

Mais ce courrier de l'inspectrice du travail, joint à la détermination des intérimaires, du syndicat CGT de l'entreprise qui les a soutenus et de leur avocat, ont permis ces succès juridiques. Ils ont encouragé de nombreuses poursuites aux Prud'hommes dans d'autres usines pour faire requalifier les contrats d'intérim en CDI.

Une pratique généralisée

L'exploitation des intérimaires est généralisée dans l'automobile. En 2002, selon le journal Le Monde, dans l'ensemble du groupe Renault, il y avait une moyenne mensuelle de 5 400 intérimaires pour 18000 ouvriers de production en fixe.

A la Sovab, il y eut jusqu'à 985 intérimaires... pour 2 405 postes fixes. La direction utilisait même un logiciel de gestion qui calculait le délai de carence applicable à chaque intérimaire, le remplacement d'un intérimaire par un autre étant en quelque sorte automatisé! C'est dire que la précarité était organisée, planifiée, pesant sur tous, intérimaires à qui l'on faisait miroiter l'embauche comme travailleurs en fixe.

Dans l'entreprise, c'est plus la médiatisation du jugement de la Cour de cassation qui a surpris... que le jugement lui-même. Beaucoup de travailleurs ne se souvenaient plus des plaintes en justice des intérimaires et demandaient des informations aux délégués. Ceux de la CGT l'ont vécu comme une petite victoire contre le patron. C'est aussi un succès moral, car il survient au moment où le secrétaire général de Renault, Michel de Virville -ancien conseiller des ministères socialistes sous Fabius et Rocard-, dans un rapport commandé par Raffarin et dicté par Seillière, préconise de porter l'estocade au CDI.

Par lui-même, le jugement de la Cour de cassation n'est qu'un arrêt juridique, qui n'empêchera pas de nouvelles attaques. Mais tant mieux s'il aide les intérimaires à faire valoir leurs droits. Et il faut souhaiter que cette épine dans le pied des patrons remonte le moral des travailleurs et les encourage à entrer en lutte pour établir un autre rapport de force avec le patronat, empêchant celui-ci de les traiter comme de la main-d'oeuvre exploitable et jetable à merci.

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