À la recherche de la rentabilité08/01/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/01/une1849.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

À la recherche de la rentabilité

La recherche des responsabilités de la catastrophe de Charm-El-Cheikh qui a fait 148 morts s'oriente vers la compagnie de charters affrétée par le tour-opérateur.

Au fil des jours, on apprend que la compagnie avait déjà connu deux incidents qui avaient obligé ses avions à un atterrissage forcé et qu'elle était par ailleurs interdite dans l'espace aérien suisse, pour des manquements graves à la sécurité.

Cette explication est-elle la bonne? L'enquête le dira... ou ne le dira pas.

Mais la question des responsabilités pose surtout celle de la course au profit à laquelle se livrent les compagnies d'aviation, les voyagistes, les tour-opérateurs et toutes les entreprises qui font leurs profits dans le tourisme.

Pour être une destination exotique, Charm-El-Cheikh n'en est pas moins destinée à une clientèle relativement populaire. Ce village de vacances construit entre mer et désert est le sous-produit de ce qu'on intitule la "démocratisation du tourisme". La clientèle des riches, de ceux qui peuvent se payer des palaces à 1000 euros minimum la nuit, ou un de ces paradis pour milliardaires des Bahamas, des Seychelles ou de Sardaigne, rapporte beaucoup par individu, mais c'est une clientèle restreinte.

Les grandes entreprises du tourisme se sont développées en s'enrichissant sur une clientèle plus modeste mais bien plus nombreuse. Les voyagistes se livrent une concurrence acharnée pour attirer les clients vers des destinations lointaines. Pour offrir des prix concurrentiels, ils font des économies sur les coûts. C'est facile sur les lieux de séjour, hôtels à étoiles ou villages de vacances, car ces "paradis exotiques" sont, en général, des pays pauvres où la main-d'oeuvre est bon marché aussi bien pour construire les hôtels qu'ensuite pour en assurer le fonctionnement.

Pour peser à la baisse sur le coût des transports aériens on a inventé les charters: ces avions qui, contrairement aux lignes régulières, ne circulent que lorsqu'ils sont rentables. Les compagnies de charters, elles aussi en concurrence les unes avec les autres, réduisent leurs propres coûts en faisant des économies sur le personnel, en n'étant pas regardantes sur la qualification des pilotes mal payés, en imposant à leurs avions un rythme de rotation élevé (l'avion de Charm-El-Cheikh est reparti une heure seulement après son arrivée). Elles réduisent aussi au maximum les frais d'entretien.

Les autorités affirment que les contrôles sont les mêmes pour les avions de ligne et pour les charters et que ces contrôles doivent respecter une réglementation internationale. Mais des pilotes rappellent que la réglementation est a minima et qu'une compagnie qui respecte vraiment la sécurité doit ajouter d'autres contrôles aux minima obligatoires. Les grandes compagnies elles-mêmes le font de moins en moins, car pour être concurrentielles, elles font, elles aussi, des économies sur la main-d'oeuvre, sur le temps d'immobilisation des appareils. Autant dire que les compagnies de charters ne le font pas car c'est précisément sur ces "détails" qu'elles font leurs profits.

De surcroît, les autorités étatiques censées faire respecter ces règles sont elles-mêmes engagées dans une concurrence à la déréglementation, à la dérégulation. Et les services de l'aviation civile, qui sont chargés de contrôler les compagnies, voire de la sécurité des vols eux-mêmes, sont de plus en plus livrés à des sociétés privées.

Le transport sur mer a montré, au travers des catastrophes maritimes de l'Erika ou du Prestige, comment des compagnies aussi riches que Total jonglent avec les règles, se défaussent de leurs responsabilités sur des sous-traitants, voire sur un bouc émissaire individuel.

Les privatisations et la course au profit ont conduit en Grande-Bretagne à des catastrophes même dans le transport ferroviaire, réputé parmi les plus sûrs. En devenant une industrie, le tourisme n'échappe pas à la règle.

L'industrie du tourisme est aussi loin de l'industrie chimique que le village de vacances de Charm-El-Cheikh est loin d'AZF à Toulouse. Et pourtant, les deux catastrophes ont quelque chose de commun.

Ceux qui sont partis en fin d'année pour des cieux qu'ils croyaient plus cléments ont peut-être échappé au stress quotidien et, pour certains d'entre eux, aux risques de leur métier. Ils n'ont pas échappé à la logique du système économique.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 5 janvier 2004

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