Argentine : Les chômeurs manifestent à nouveau12/12/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/12/une1845.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Argentine : Les chômeurs manifestent à nouveau

Depuis son élection en 2002, le président péroniste de l'Argentine, Nestor Kirchner, a multiplié les gestes qui ne coûtent pas cher pour essayer de s'attirer les bonnes grâces de la population pauvre. À l'étranger, il s'est affiché avec Lula du Brésil et Chavez du Venezuela. À l'intérieur, il a reçu au palais présidentiel les Mères de la Place de Mai, qui militent pour qu'on n'oublie pas ceux qui furent assassinés pendant la dictature militaire (1976-1983). Son épouse se promène ces temps-ci dans un train d'aide sanitaire et sociale qui parcourt les régions les plus déshéritées du pays.

Par ces différents gestes, Kirchner espérait gagner du temps pour mener la politique des classes possédantes, ce qui ne peut se faire qu'au détriment des classes populaires. Mais, depuis quelques semaines, il doit faire face aux protestations de tous ceux à qui il n'a rien à offrir de tangible, chômeurs et retraités notamment.

Mardi 25 novembre, en effet, divers mouvements de «piqueteros», ces chômeurs qui barrent les routes et perturbent le trafic pour revendiquer des subsides du gouvernement, ont à nouveau coupé la circulation dans la capitale. C'est la suite d'une série de manifestations qui ont recommencé au début du mois de novembre. À certains carrefours, les chômeurs militants étaient soutenus par des retraités qui scandaient: «Les seuls fainéants, ce sont les riches». À Neuquen, en province, les affrontements ont été très violents: la police a tiré avec des balles de plomb et de caoutchouc contre les chômeurs, faisant plus d'une cinquantaine de blessés.

Ces manifestations étaient la réponse des chômeurs et des retraités à la campagne menée depuis plusieurs semaines par Kirchner, qui tente de renégocier les subsides actuellement distribués aux chômeurs. Comme le gouvernement d'ici qui cherche à remplacer le RMI par le RMA, Nestor Kirchner voudrait que les chômeurs qui reçoivent des subsides travaillent également. Actuellement, ces subsides sont distribués à environ 2,2 millions de «chefs de famille».

Dans un pays où traditionnellement les travailleurs doivent cumuler au moins deux emplois pour survivre et où, depuis l'effondrement de décembre 2001, le chômage est officiellement de 20 à 30% (et en réalité bien plus), et où, pour l'essentiel, il n'y a guère que des emplois «au noir» qui peuvent permettre de survivre, la campagne anti-chômeurs est particulièrement abjecte.

Pour renouer avec les banquiers du Fonds Monétaire International, ce qu'il a en partie réussi le 20 septembre dernier, et retrouver les crédits que ces mêmes banquiers hésitent à avancer à l'Argentine de crainte de prêter à fonds perdus, Kirchner doit faire la démonstration qu'il sait tenir serrés les cordons de la bourse quand il s'agit de dépenses publiques et aussi qu'il ne cède pas à la rue.

Diviser pour régner

«Diviser pour régner» était une méthode de l'impérialisme anglais, qui a longtemps décidé du sort de l'Argentine. Elle inspire aujourd'hui Kirchner, qui essaye de se servir des différences existant au sein du mouvement des chômeurs, divisés en de multiples courants, allant des plus modérés, tout disposés à soutenir le président, jusqu'à des courants plus radicaux qui ont compris que les chômeurs n'obtiendront que ce qu'ils décrocheront par la lutte. Ce sont ceux-ci qui manifestent depuis début novembre et qui sont l'objet de multiples attaques de la part des autorités qui assènent l'idée que barrer les routes relève de la criminalité et qu'il n'y a pas de raisons de verser des aides à des criminels! Dans cette campagne démagogique, le gouvernement a reçu l'aide d'une partie de l'épiscopat catholique, à qui les courants modérés de chômeurs sont attachés.

En Argentine, les employeurs payent souvent leurs salariés avec des mois de retard. Les autorités en font de même avec leurs fonctionnaires ou encore avec les pensions des retraités. Récemment, une partie des travailleurs licenciés de l'industrie du pétrole ont protesté contre le non-paiement des indemnités que l'État leur doit depuis la privatisation de l'entreprise d'État YPF.

En septembre 2002, le gouvernement de Kirchner avait admis, par un décret de loi, que l'État devait une indemnité de 23000 pesos à 30000 ex-employés de ce trust, soit au total une somme de 700 millions de pesos. Kirchner, dans sa quête de soutiens populaires, avait même évoqué l'idée que cette indemnité pourrait être un peu majorée jusqu'à un total d'un milliard de pesos (environ 300 millions d'euros).

Mais, depuis, les travailleurs d'YPF n'ont rien touché. Une partie d'entre eux a manifesté dans la région de Salta, une région particulièrement pauvre, où cet argent est attendu avec impatience. La police les a réprimés et a arrêté un des dirigeants de ce mouvement. Et maintenant les autorités se servent de ces incidents pour différer encore le paiement, en prétendant «ne pas vouloir cautionner le vandalisme» des manifestants.

L'amnistie des chômeurs condamnés constamment repoussée

Il y a un autre contentieux entre le gouvernement et le mouvement des chômeurs, c'est le sort des quelque 30000 piqueteros qui, à un titre ou à un autre, font l'objet de poursuites pénales depuis le début de ce mouvement. Et là encore, c'est le même chantage: il est question d'une loi d'amnistie, mais comme on prétend ne pas vouloir passer l'éponge pour les chômeurs les plus combatifs, rien ne se passe. Chaque nouvelle manifestation, chaque nouvel incident sert ainsi de prétexte à reporter l'amnistie. Et, dans l'entourage de Kirchner, certaines voix se font entendre pour l'inviter à répondre à nouveau par la force aux chômeurs et aux déshérités.

Tandis qu'il lanterne chômeurs et retraités, Kirchner renégocie actuellement les licences et les concessions que l'État argentin a pu accorder à différents groupes capitalistes pendant la vague des privatisations. Ainsi le groupe argentin Macri s'était emparé de la poste, ou les groupes français comme Vivendi ou France Télécom avaient hérité de l'eau ou du téléphone, partagé avec un groupe espagnol. Si ces grands groupes capitalistes essayent dans cette renégociation de tirer le plus de profit possible, et s'il y a parfois des accrochages avec le gouvernement, ce dernier ne traite pas les porte-parole de ces entreprises de criminels. Pourtant, ce sont eux, de par leur rapacité, qui ont mis par terre l'économie argentine et plongé dans la misère la plus grande partie de la population.

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