Affaire Executive Life : L’Etat français au secours de Pinault12/12/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/12/une1845.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Affaire Executive Life : L’Etat français au secours de Pinault

Samedi 6 décembre, Chirac a affirmé qu'il n'était pas intervenu dans l'affaire d'Executive Life pour s'opposer à la signature d'un accord avec la justice américaine. Le procureur de Californie se déclarait prêt à ne pas engager de poursuites contre François Pinault en échange d'une amende de 180 millions de dollars - que ce dernier estime trop élevée. Si l'État français a refusé cet accord, prétend Chirac, c'est uniquement dans «le souci de l'intérêt général», pour «défendre les intérêts financiers de l'État et les intérêts des contribuables français», et le fait que Pinault soit pour lui un «ami de vingt ans» n'aurait bien sûr rien à voir avec l'intransigeance affichée par les autorités françaises! Voilà qui est bien difficile à croire, tant l'histoire de la fortune de Pinault se confond avec les affaires de l'État.

Considéré comme l'un des hommes les plus riches de France, ce milliardaire, fils d'un exploitant forestier, a commencé sa carrière par le commerce du bois avec, déjà, l'aide du Crédit Lyonnais, impliqué lui aussi dans l'affaire d'Executive Life. Au début des années soixante-dix, il s'enrichit dans le rachat d'entreprises en faillite. En 1988, il achète 75% du capital de la papeterie de la Chapelle-Darblay, alors numéro un du papier journal en France, qu'il revend trois ans plus tard en empochant un bénéfice de 525 millions de francs. Un an plus tard, Pinault SA est introduit en Bourse, soutenu par des investisseurs tels que les AGF ou encore le Crédit Lyonnais. Cette banque publique, qui lui négociait des prêts à prix d'ami, comme à d'autres entreprises, le soutenait aussi en y investissant directement du capital. Et quand, en 1993, l'État eut besoin d'argent pour renflouer le Crédit Lyonnais, Pinault fut autorisé à racheter des parts de la banque avec une ristourne de 300 millions d'euros par rapport à leur cours sur le marché boursier.

Pinault s'étend ensuite à la grande distribution, achetant Conforama, Le Printemps-Prisunic, La Redoute, puis la FNAC en 1994. A la fin des années quatre-vingt-dix, en compétition avec Bernard Arnaud qui a construit, avec LVMH, un empire dans l'industrie du luxe, il continue à élargir ses activités et sa fortune par l'achat du journal Le Point, de Christie's, salle de vente spécialisée dans les oeuvres d'art, de la branche parfum de Sanofi. En même temps, il entre pour 16% dans le capital de Bouygues (Bâtiment et TF1), à part égale avec les frères Bouygues. A l'heure actuelle, «l'empire Pinault» vaudrait près de 14 milliards d'euros, un vingtième environ du budget de l'État.

Les liens personnels de Pinault avec le président de la République dateraient de 1981 quand, quinze jours avant des élections cantonales, il rachète une scierie de Corrèze -fief des Chirac- qui menaçait de fermer en mettant vingt salariés au chômage. Ils se sont renforcés quand il fut l'un des seuls à soutenir Chirac aux élections présidentielles de 1995, à une époque où beaucoup misaient sur Balladur (un autre «ami de vingt ans»!). Depuis, paraît-il, les familles se reçoivent, Chirac va dîner dans le château du milliardaire, qui lui prête volontiers son avion personnel. Ses amitiés dans le monde politique s'étendent aussi à Sarkozy, Villepin, Fabius (une des usines de la Chapelle-Darblay était située sur sa circonscription), ou le président socialiste du Conseil d'Ile-de-France Jean-Paul Huchon.

Mais les liens entre Pinault et le pouvoir en place (quelle que soit son étiquette) ne se limitent pas à des relations personnelles. Ainsi, un des responsables du groupe PPR (Pinault-Printemps-La Redoute), Bruno Crémel, sera pendant deux ans directeur de cabinet de Fabius, nommé ministre de l'Économie et des Finances en mars 2000, alors que Pinault négociait un arrangement fiscal avec les services de ce même ministère, avant de réintégrer le groupe comme numéro deux de la FNAC. Jusqu'en mars 1997, Pinault, un des hommes les plus riches de France, avait pu échapper à l'impôt sur le revenu tout à fait légalement, en même temps qu'il parvenait à dissimuler un quart de sa fortune placée dans des paradis fiscaux.

Pinault n'est pas le seul des grands patrons français à s'être enrichi grâce à l'argent public et aux multiples liens personnels ou familiaux qu'ils entretiennent avec des hommes politiques. Au fond, toutes les grandes fortunes industrielles ou financières, au fil de l'histoire du capitalisme, ont été bâties ainsi. L'État a été constamment à leur service, que ce soit en leur accordant des marchés nouveaux (développement des chemins de fer, ventes d'armement, travaux publics, etc.), ou des aides et subventions leur assurant des facilités de trésorerie. Et les bonnes affaires entretiennent bien souvent «l'amitié de vingt ans»... ou plus.

Est-ce au nom de cela qu'il faudrait encore que l'État, c'est-à-dire les contribuables, paye des millions d'euros pour sauver la mise à Pinault?

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