L’armée américaine en Irak : Un enlisement prévisible29/10/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/10/une1839.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

L’armée américaine en Irak : Un enlisement prévisible

Un hélicoptère américain abattu vendredi 24 octobre près de Tikrit; une bordée de roquettes tirée dimanche, à Bagdad, contre l'hôtel où était logé le numéro deux du Pentagone, Paul Wolfowitz; une vague de cinq attentats, lundi, faisant 42 victimes parmi la population irakienne et visant notamment le siège de la Croix-Rouge à Bagdad; un autre attentat à la voiture piégée faisant sept morts, mardi, et un GI américain tué dans une attaque aux roquettes, portant à 114 le nombre de soldats américains tués depuis le 1er mai dernier: l'armée des États-Unis n'en a décidément pas fini avec une guerre dont Bush avait déclaré il y a six mois qu'elle était pratiquement terminée.

Les choses ne vont pas mieux quant au moral des troupes américaines. D'après la presse, 478 soldats auraient été rapatriés d'Irak pour des problèmes de «santé mentale». Au moins treize se seraient suicidés. Vingt-huit permissionnaires auraient refusé de repartir en Irak. Les GI découvrent la réalité de la guerre dans laquelle leur gouvernement les a engagés. On leur avait dit qu'ils partaient délivrer le peuple irakien d'une horrible dictature et qu'ils seraient donc accueillis en libérateurs par la grande majorité de la population. Et au fil des jours ils ont découvert que la grande majorité de la population irakienne, et pas seulement les partisans de Saddam Hussein, ne souhaitait qu'une chose, qu'ils repartent le plus vite possible. D'autant qu'après les destructions dues à la guerre et aux bombardements américains, le peuple irakien se retrouve dans une situation bien pire, dans sa vie de tous les jours, que celle qu'il connaissait sous Saddam Hussein, et qu'en fait de «reconstruction» du pays, dont parlent tant les dirigeants américains, rien ne se fait pour remettre en route l'économie.

C'est un scénario classique. Quand les classes dominantes ont besoin d'envoyer de jeunes hommes à la guerre, de leur faire massacrer des innocents en risquant de se faire tuer eux-mêmes, elles ne leur disent jamais qu'on les envoie défendre les intérêts économiques des classes possédantes. On leur parle de la défense du «droit», de la «démocratie», de la «civilisation». «On croit mourir pour la patrie, écrivait déjà Anatole France il y a quatre-vingts ans, et on meurt pour les industriels et les banquiers». La guerre menée par Bush et Blair pour le pétrole irakien n'a pas échappé à la règle.

Wolfowitz pouvait bien déclarer, après l'attentat dont il avait failli être victime, qu'il s'agissait «des actes désespérés d'un régime moribond», il est de plus en plus évident que l'armée américaine s'enlise dans un conflit dont on ne voit pas la fin. Et le fait que les opérations militaires américaines soient présentées comme de simples opérations de «maintien de l'ordre» ne change rien à la chose.

L'armée française a connu cela en Algérie, de 1954 à 1962, où de «dernier quart d'heure» en «dernier quart d'heure», comme disaient les «va-t-en guerre» de l'époque, elle a mené durant huit ans une répression atroce, avant que les gouvernants français finissent par se rendre à l'évidence et à reconnaître le droit du peuple algérien à l'indépendance.

L'armée américaine a elle aussi déjà fait cette expérience, au Vietnam, il y a une trentaine d'années, où d'envoi de conseillers militaires en envoi d'autres conseillers, elle a fini par engager des centaines de milliers d'hommes... qui se sont révélés impuissants à imposer à un peuple un régime politique dont il ne voulait pas.

Nul ne peut prédire comment évoluera la situation en Irak. Et l'une des pires conséquences de l'intervention américaine, c'est qu'elle a fait des islamistes irakiens des acteurs clefs de la situation, eux qui rêvent d'imposer dans leur pays un régime qui pourrait se révéler bien pire, pour les travailleurs irakiens et pour les femmes, que celui de Saddam Hussein.

Mais les difficultés rencontrées par l'armée américaine prouvent aussi qu'en dépit de sa suprématie économique et technologique, de sa puissance militaire, l'impérialisme américain est bien incapable d'imposer sa loi comme il le voudrait. Et les problèmes qu'il rencontre aujourd'hui avec ses propres troupes prouvent que la vraie ligne de démarcation qui sépare deux mondes hostiles n'est pas entre le camp du «bien» et les pays de «l'axe du mal», comme le prétend Bush, ni entre les habitants des pays riches et ceux des pays pauvres. Mais entre les exploiteurs d'un côté et ceux qu'ils trompent et qu'ils oppriment, quelle que soit leur nationalité.

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