La non-mixité à l'école : À la poubelle, les vieilles lunes !09/10/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/10/une1836.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

La non-mixité à l'école : À la poubelle, les vieilles lunes !

On discute aujourd'hui de revenir plus de quarante années en arrière, à l'époque où la mixité à l'école n'existait pas.

Ce n'est sûrement pas un hasard si les médias et le gouvernement ont choisi de lancer le débat sur ce thème quelques mois après le mouvement de grève dans l'Éducation nationale. Leur espoir est sans doute d'attirer l'attention sur autre chose que les moyens humains et financiers qui font tellement défaut à l'éducation, moyens que revendiquaient les grévistes au printemps dernier.

L'État est à la recherche de gadgets qui cachent sa politique d'économies dans le service public. La non-mixité en est un. Les problèmes qu'elle est censée résoudre seraient l'amélioration de l'apprentissage, le recul de l'échec scolaire ainsi que la violence à l'école, qui empêche les enfants et les adolescents d'étudier dans des conditions correctes.

Ses partisans se fondent sur un constat partagé par tout le monde: l'école actuelle ne fonctionne pas bien. Ils invoquent ensuite quelques expériences menées notamment aux États-Unis dans une quarantaine d'établissements et dont il est bien difficile de tirer un bilan. L'un des établissements-phares n'a été ouvert qu'en 1996, c'est-à-dire très récemment, dans un quartier défavorisé de New York et recrute essentiellement des adolescentes de Harlem et du Bronx. Les résultats obtenus par les élèves seraient exceptionnels, plus de 90% des élèves ayant en effet, depuis, intégré l'université. Mais personne ne dit précisément dans quelles conditions ce lycée de filles fonctionne. On peut supposer que, dans la volonté de faire de cet établissement un établissement pilote, l'administration l'a gratifié de moyens eux aussi exceptionnels, en enseignants et en personnel, contrairement à ce qui se pratique généralement dans les écoles publiques des quartiers pauvres. L'hypothèse n'est pas gratuite: le projet de non-mixité tient tellement à coeur aux réactionnaires de tout acabit que l'administration Bush, dont on connaît le haut degré de conservatisme, a décidé de débloquer des fonds (3 millions de dollars) pour inciter les localités à suivre la voie de la ségrégation. Et le fait que Hillary Clinton ait apporté sa caution à ce projet ne change rien à la question.

Et puis, comment prendre au sérieux les conclusions sur les bienfaits des écoles non-mixtes quand on se rappelle qu'au moment où la mixité avait été introduite en France après 1968, tous les experts, sociologues, psychologues, pédagogues, etc. tenaient exactement le discours inverse que ceux qui la remettent en question aujourd'hui?

Ceux-là s'appuient sur le fait que, dans les écoles comme dans le reste de la société, les comportements de plus en plus sexistes, agressifs et violents se développent chez les adolescents -notamment dans les banlieues pauvres- et que certaines filles expriment le désir de rester entre elles pour mieux se concentrer en classe, parce qu'elles ne voient pas comment réagir face aux agressions dont elles sont les victimes.

Mais que proposent-ils au lieu de les aider? Ils suggèrent de baisser les bras, de démissionner devant les tâches d'éducation, de renforcer la ségrégation. Pourtant le seul moyen de lutter contre les comportements sexistes qui peuvent conduire à toutes sortes d'actes barbares, c'est au contraire de combattre les préjugés qui les font naître, de les combattre sans relâche, et dès l'école justement.

L'école n'a pas seulement pour vocation de dispenser la lecture et le calcul. Elle est un lieu de socialisation. Dans une classe, les enfants prennent la mesure de ce qu'ils sont, créent des liens avec les autres et apprennent d'eux. Ils s'initient à la vie collective. Grâce à la culture, la plupart des enfants et des adolescents peuvent découvrir un monde différent du leur, limité le plus souvent à leur famille et à leurs copains. Ils peuvent s'ouvrir à d'autres comportements sociaux. Partout, et à commencer par les banlieues les plus pauvres, l'école devrait et pourrait être un véritable lieu d'éducation et de formation, apprenant aux garçons à sortir des préjugés stupides et dangereux dans lesquels certains s'enfoncent, sollicitant des filles qu'elles s'imposent face aux garçons. L'école pourrait offrir une autre image des relations humaines que celle de la jungle qui règne souvent dans les cités. Elle pourrait aider à instaurer entre jeunes et adultes, filles et garçons, la confiance et le respect mutuels.

Cela implique d'autres conditions d'enseignement et des moyens, matériels, humains. Il faudrait que les classes soient moins chargées pour permettre aux enseignants de s'occuper de chacun et de tous. Il faudrait multiplier l'encadrement vers lequel les jeunes pourraient se diriger. Il faudrait que l'État soit prêt à donner sans compter tous les moyens nécessaires à la formation et l'éducation des générations futures.

Le seul véritable débat qui mérite d'être lancé est bien celui des moyens qui manquent à l'Éducation nationale. Qu'on laisse la question de la non-mixité à l'école là où elle aurait dû rester: dans les oripeaux du passé, sous les pavés du Quartier latin!

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