Accord Air France-KLM : Profits et suppressions d’emplois02/10/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/10/une1835.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Accord Air France-KLM : Profits et suppressions d’emplois

Après des mois de tractations serrées entre Air France et la compagnie néerlandaise KLM, leur prochaine alliance a été annoncée en fanfare. En France en tout cas, car les autorités hollandaises, qui n'ont pas encore signé l'accord, affirment que les «discussions continuent». Autrement dit, les enchères entre ces deux futures alliées et néanmoins toujours rivales ne sont pas terminées.

Face à la forte concurrence d'autres compagnies européennes plus puissantes qu'elle, KLM a vu sa situation se dégrader et a dû rechercher des alliées. Mais si de précédentes tentatives ont échoué, c'est que les partenaires alors pressentis - Alitalia, puis British Airways - avaient cru pouvoir purement et simplement avaler KLM.

Concurrence et alliances

Or, même affaiblie, elle reste un gros morceau, notamment du fait de l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol, plaque tournante géante de ses lignes aériennes (un «hub» dans le langage de l'aviation), qui draine bon an mal an presque autant de passagers que le hub Air France de Roissy, troisième en importance en Europe.

C'est précisément pour pouvoir prendre pied à Schiphol, et profiter de bien d'autres avantages résultant pour elle d'un rapprochement avec KLM, que la direction d'Air France, disent certains qui se veulent critiques, se serait montrée «accommodante» quant aux termes de l'union, alors qu'il ne s'agit là, ni plus ni moins, que du résultat d'un rapport de forces. Et ces forces en présence - les directions, les actionnaires des compagnies ainsi que les énormes intérêts financiers liés directement ou indirectement à ce secteur: prestataires de services privés, grosses sociétés installées sur les zones aéroportuaires, constructeurs d'avions, banques, etc. - entendent bien que cet accord leur soit profitable.

Crash des emplois programmé

La direction d'Air France a ainsi chiffré à 19,7 milliards d'euros le chiffre d'affaires cumulé de la future entité commune, ce qui en ferait de ce point de vue le premier groupe aérien mondial; le second ou le troisième pour le transport de marchandises; le quatrième en nombre de passagers. Elle dit attendre de ce tandem aérien géant au moins 75 millions d'euros d'économies par an, et 400 millions d'euros d'ici cinq ans.

Comment? La direction d'Air France parle d'«économies d'échelle» et de «synergies» (la mise en commun des moyens des deux compagnies), tout en se gardant de préciser. Son PDG a eu beau, mardi 30 septembre, déclarer en présentant l'accord qu'«il n'y a aucun plan de licenciements prévu ou étudié», bien fol serait qui le croirait.

Chez KLM, d'abord, la direction a d'ores et déjà annoncé vouloir supprimer 15% des emplois (soit 4500 salariés, plus les sous-traitants). Mais à Air France aussi où des travailleurs, notamment ceux des ateliers de la Maintenance, savent qu'entre le centre de réparations de moteurs ultra-moderne de Schiphol et celui d'Orly-Nord, les dirigeants du futur groupe vont vouloir mettre en oeuvre leurs fameuses «synergies»... pour faire faire autant de travail, et sans doute plus, par moins de salariés. Et il n'y a pas que là: pour les équipes au sol, les services commerciaux, les centres de réservation, le secteur de la préparation des plateaux-repas, etc., ces «économies d'échelle» risquent de ne pas tarder à s'appliquer.

Car c'est bien là un des objectifs de toute l'opération: outre faire des économies sur le coût des avions (comme à l'achat, puisqu'il pourra y avoir des commandes groupées), il s'agit pour les dirigeants de la future holding Air France-KLM de transporter plus de passagers - donc d'engranger plus de recette - tout en économisant sur les coûts de main-d'oeuvre. Elle économiserait en volume, mais aussi en s'en prenant à certaines garanties de salaires et de conditions de travail actuellement en vigueur. Elle pourrait «externaliser» des secteurs entiers, ce dont ne se privent déjà pas les compagnies aériennes, comme bien d'autres patrons. Les autres salariés d'Air France pourraient passer de leur statut actuel d'employés d'une compagnie semi-publique à celui découlant simplement de la convention collective de l'aviation civile, plus défavorable. Cela est programmé pour 2005, et justifié par l'achèvement de la privatisation de la compagnie.

Raffarin dans la foulée de Jospin

Autant dire que, si l'accord entre les deux compagnies débouche, comme prévu, sur leur regroupement en une société-holding où Air France aura un poids déterminant, cela ne se fera pas au détriment des intérêts des gros actionnaires, ni de ceux de KLM, ni de ceux, présents et surtout à venir, d'Air France. En fait, Raffarin profite de l'occasion pour poursuivre ce qu'avait entamé son prédécesseur Jospin: la privatisation d'Air France. L'accord se concrétisera en effet par un échange d'actions entre KLM, principalement aux mains d'intérêts privés, et Air France, encore détenue pour un peu plus de la moitié par l'État.

Dans le nouveau groupe, le privé deviendra majoritaire dans le capital et les autorités françaises espèrent pouvoir ensuite se défaire d'une partie de ce qu'elles y détiendraient encore.

S'agissant d'Air France, seule grande compagnie aérienne à faire des profits, cela sur six ans d'affilée, le cours de l'action a doublé depuis février; quant au cours boursier de KLM, il est au mieux de sa forme depuis que les discussions avec Air France ont débuté. Si les cours des actions du groupe continuent à grimper, l'État français pourra alors faire rentrer de l'argent frais dans ses caisses tout en offrant un joli cadeau à d'éventuels investisseurs privés: une compagnie aérienne devenue numéro1 européen et une des toutes premières du monde dans le cadre de son accord avec KLM.

Évidemment, cela n'a rien de garanti, surtout dans ce domaine du transport aérien où de plus gros se cassent parfois les dents, dont actuellement de grandes compagnies des États-Unis qui, bien que dominant le ciel mondial, n'ont trouvé de salut que dans la loi américaine sur les faillites. Si les profits accrus attendus de l'alliance Air France-KLM ne répondaient pas à l'appel ou si, victime à son tour de la guerre de concurrence mondiale que se livrent les compagnies dans le ciel et sur terre, l'entité Air France-KLM venait à battre de l'aile, nul doute que ceux qui cocoricottent aujourd'hui à tout-va viendraient expliquer doctement qu'il s'agissait là d'une «opération hasardeuse».

Mais qu'elle réussisse ou qu'elle finisse de la sorte, dans ce qui est le fonctionnement normal, c'est-à-dire aveugle et destructeur de valeurs, du capitalisme, une chose est certaine: si les travailleurs concernés ne se défendent pas, ils en feront de toute façon les frais.

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