«L’école française» de la torture05/09/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/09/une1831.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

«L’école française» de la torture

Lundi 1er septembre, Canal+ diffusait une enquête au titre évocateur: Escadrons de la mort, l'école française. Cette enquête rappelle comment l'armée française, dans les années soixante et soixante-dix, a «exporté» son expérience en matière de répression et de torture, au profit des dictatures d'Amérique du Sud notamment.

De l'expérience en la matière, l'impérialisme français en avait à revendre. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il avait eu à faire face à de nombreux soulèvements dans ses colonies: en Algérie et en Indochine dès 1945, à Madagascar en 1947, en Algérie de nouveau à partir de 1954.

Contre le soulèvement de Madagascar, la répression fut particulièrement sanglante: au moins 100000 malgaches furent massacrés. En Indochine, puis en Algérie, l'armée française mena une guerre de plusieurs années pour défendre les intérêts des trusts hexagonaux.

Au cours de ces opérations militaires et de ces guerres, un certain nombre de cadres de l'armée française ont acquis ce «savoir-faire» en matière de répression qui allait tant servir les dictateurs sud-américains.

Ce savoir-faire consistait à frapper la population civile pour y débusquer les militants «subversifs». Pendant la bataille d'Alger par exemple, en 1957, les parachutistes français des tristement célèbres généraux Massu et Aussaresses procédèrent à des ratissages sans précédent, afin de trouver et d'éliminer les milliers de militants du FLN qui se cachaient dans les quartiers populaires d'Alger. Tous les moyens étaient bons. Chaque maison de la ville était visitée par des paras ayant tous les droits. Perquisitions brutales, fouilles, arrestations, assassinats et torture systématique se déchaînèrent pendant un an.

C'est donc dans ce domaine très particulier que l'armée française a pu exporter ce savoir-faire. Le général Aussaresses écrit lui-même, dans ses mémoires publiées en 2001, qu'entre 1963 et 1966 il a servi «d'instructeur aux États-Unis, à Fort Bragg, pour les forces spéciales américaines engagées au Vietnam».

Puis, dans les années 1970, en Amérique du Sud, il se constitua ce qui fut appelé le «Plan Condor»: il s'agissait d'une sorte d'Internationale de la répression et de la torture, qui devait coordonner les activités des polices politiques du Chili, d'Argentine, de l'Uruguay, du Paraguay, de la Bolivie et du Brésil -une série de pays où, de 1964 à 1976, avaient eu lieu des coups d'États militaires. Et là encore, ce furent des «spécialistes» français qui formèrent les membres locaux de ce réseau Condor aux pires techniques de répression. Une des méthodes, largement employée en Argentine et au Chili, consistait à emmener des prisonniers en avion et à les jeter, souvent drogués mais vivants, dans le cours d'un fleuve ou à la mer. C'était, paraît-il, une invention du général Bigeard.

Ce reportage rappelle aussi la proposition de Michel Poniatowsky, ministre de l'Intérieur de Giscard, faite aux généraux chiliens, de «procéder à des échanges d'information en vue de lutter contre la subversion». On y voit l'ex-bras droit de Pinochet raconter comment, de 1978 à 1980, il était prévenu par la police française dès que des réfugiés chiliens quittaient la France, de façon à ce que ceux-ci fussent arrêtés et exécutés dès leur arrivée.

Ce type d'enquêtes a le mérite de rappeler - car ces faits sont connus depuis longtemps - les pratiques les plus abjectes de l'impérialisme, y compris français, dont les dirigeants ne sont pourtant pas avares de leçons de morale sur le «respect des droits de l'homme». Mais, en ce qui les concerne, ce ne sont que des mots.

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