Irak : L’attentat de Nadjaf et la menace de l’intégrisme chiite05/09/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/09/une1831.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : L’attentat de Nadjaf et la menace de l’intégrisme chiite

Depuis l'attentat visant l'ambassade de Jordanie, le 8 août, puis le siège de l'ONU à Bagdad le 19, les attentats à la bombe se multiplient en Irak. Ils visent aussi bien des installations militaires ou civiles symbolisant l'occupation occidentale, que des commissariats de la nouvelle police irakienne mise en place par les autorités anglo-américaines.

Nul ne peut dire avec certitude quelles sont les forces politiques qui sont derrière ces attentats. Mais les accusations portées par les autorités américaines, que ce soit contre les «nostalgiques de Saddam» ou contre al-Qaida, paraissent d'autant moins crédibles que les opérations visant les forces d'occupation continuent à se multiplier un peu partout dans le pays. Vu l'augmentation de la fréquence de ces attentats et leur dispersion géographique, on peut penser qu'elles sont le fait de forces, peut-être atomisées, mais certainement plus nombreuses que les autorités américaines le laissent entendre. En tout cas leur objectif, comme celui des attentats à la bombe récents, est clair: ils visent l'occupant étranger et ses auxiliaires.

En revanche, l'attentat du 29 août, qui a fait 104 morts dans une mosquée de Nadjaf, semble servir un autre objectif. La cible, selon les commentateurs, en aurait été l'ayatollah Baqr al-Hakim qui y a trouvé la mort. Il s'agit du chef historique du plus grand des deux principaux partis intégristes chiites, le Conseil Suprême de la Révolution Islamique (CSRI). Certains commentateurs ont émis l'hypothèse que Baqr al-Hakim avait été choisi pour cible à cause de la participation de son parti au «Conseil représentatif» bidon mis en place par les autorités américaines. Mais cette participation n'empêche pas le CSRI d'apparaître dans certaines régions, et en particulier celles frontalières de l'Iran, comme la principale force d'opposition aux occupants grâce à ses milices armées. Le fait de jouer la carte d'une certaine collaboration avec l'occupant ne l'empêche pas de se livrer à la démagogie antioccidentale par ailleurs. D'ailleurs la plupart des formations intégristes importantes se livrent à ce double jeu.

En revanche, il faut rappeler que, dès la chute de Saddam Hussein, on a vu émerger un peu partout autour des mosquées des quartiers chiites des milices intégristes rivales qui, s'étant engouffrées dans le vide étatique laissé par l'effondrement du régime, se sont immédiatement lancées dans une lutte violente pour le pouvoir local. La ville de Nadjaf a été le théâtre de violents affrontements entre milices intégristes rivales de façon pratiquement continue depuis le mois d'avril. Or, de la lutte pour le pouvoir dans les quartiers à la lutte pour le pouvoir tout court, il n'y a qu'un pas, et cette lutte passe par l'élimination des factions rivales.

Ce n'est sans doute pas un hasard si les trois principales personnalités politiques irakiennes importantes victimes d'attentats depuis la chute de Saddam Hussein ont été des dirigeants historiques de l'intégrisme chiite. On peut penser que cela reflète l'âpreté de la lutte pour l'hégémonie de la représentation politique de l'Islam chiite qui se déroule dans les coulisses. En même temps, les méthodes utilisées dans cette lutte donnent un avant-goût de ce qui risque de se produire ensuite: la faction victorieuse, quelle qu'elle soit, usera des mêmes méthodes pour tenter d'éliminer tous les adversaires politiques potentiels restant en lice.

Dans les premiers temps de la guerre contre l'Irak, les dirigeants anglo-américains prétendaient que, du fait de la répression qu'elle avait subie du temps de la dictature de Saddam Hussein, la population chiite accueillerait leurs troupes en libérateurs. Il n'en a rien été. Par la suite, les autorités d'occupation ont cherché à s'appuyer sur les mosquées, espérant que le clergé chiite se montrerait coopératif. Mais cela n'a fait qu'encourager les courants les plus réactionnaires à redresser la tête et à se lancer dans une surenchère démagogique qui rend la situation encore plus explosive, au sens propre comme au sens figuré, pour les forces d'occupation.

Aujourd'hui, après l'attentat de Nadjaf, la colère de dizaines de milliers de manifestants s'est exprimée dans la rue. Mais quoi que puissent faire ou dire les autorités américaines, cette colère ne peut que se retourner contre les troupes d'occupation et pousser les manifestants dans les bras des courants intégristes qui apparaissent comme les plus radicaux.

En abattant à coup de bombes la dictature de Saddam Hussein qu'ils avaient eux-mêmes armée, les dirigeants impérialistes risquent d'avoir ouvert la voie du pouvoir, comme jadis en Afghanistan avec les talibans, à des forces encore plus réactionnaires.

Partager