Intermittents du spectacle : Des patrons qui usent et abusent03/07/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/07/une1822.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Intermittents du spectacle : Des patrons qui usent et abusent

Prenant les intermittents du spectacle pour des demeurés, et la population avec, le ministre de la Culture, Aillagon, a appelé à la télévision, lundi 30 juin, "les manifestants à bien relire le contenu de l'accord". Cet accord que des milliers d'entre eux sont en train de combattre à travers tout le pays!

Et d'ajouter qu'il entendait très vite mettre en oeuvre la procédure d'agrément, qui donnera force de loi à cet accord décrié par l'immense majorité des intéressés. Invitée face à lui, l'actrice et réalisatrice Agnès Jaoui lui a fait remarquer que c'est l'État qui, le premier, a couvert l'explosion du nombre d'intermittents du spectacle.

Car si cette catégorie de salariés, totalement précarisée, s'est développée ces dix dernières années, les premiers responsables en sont les gouvernements, de droite comme de gauche, suivis d'ailleurs par les notables locaux, qui ont transformé des milliers d'emplois ordinaires en "intermittents".

Cela s'est fait en particulier au travers de la destruction des services de la télévision publique. Pour faire disparaître des milliers d'emplois, allant des techniciens, éclairagistes... aux producteurs, on a créé une société à part, la SFP, chargée en théorie d'assurer la "création" dans la télévision publique; puis on ne lui a plus donné de travail. Dans le même temps, on a vu se créer une multitude de sociétés de production "indépendantes" privées, où quelques animateurs-patrons de société ont pu vendre leur "production" à la télévision publique à des prix vertigineux. Inutile de dire que TF1 et M6 ont massivement utilisé ce même système. Ces sociétés de "production" ont encaissé des centaines de millions d'euros.

Le scandale a quand même eu quelques répercussions, un court moment, et Elkabach y perdit même sa place de président de France Télévision. Un des secrets des bénéfices pharaoniques de ces sociétés réside dans le fait qu'elles n'avaient quasiment plus de personnel permanent. Les anciens cameramen étaient maintenant payés "à la tâche" et, avec la complicité active des pouvoirs publics, ils se voyaient transformés en "intermittents du spectacle". C'était une violation grossière et manifeste des droits élémentaires du travail. Et c'est pour faire supporter aux ex-salariés ce scandale qu'on les a fait bénéficier, en échange, des "droits" des intermittents du spectacle.

C'est d'ailleurs un système dont rêve en secret chaque patron: revenir cent ans en arrière, ne plus avoir à supporter les "contraintes insupportables" d'un contrat de travail, et ne payer ses salariés que quand on en a vraiment besoin.

L'explosion de la catégorie des intermittents du spectacle est le pendant de la généralisation, ici à l'extrême, des emplois précaires dans tout le monde du travail. Car, avant d'avoir le culot de réclamer de "ramener ces derniers au droit commun", encore faudrait-il faire bénéficier de véritables contrats de travail les milliers de salariés qui le devraient.

Toutes les grandes entreprises de spectacles, qui brassent des dizaines de millions d'euros, bénéficient de cette violation permanente de la loi, et s'y enrichissent encore plus. Tous les notables locaux, si soucieux aujourd'hui de la baisse des bénéfices que la grève de ces salariés pourrait entraîner pour leur clientèle de riches commerçants, hôteliers et restaurateurs, n'ont pas eu les mêmes scrupules vis-à-vis des travailleurs concernés.

Quant à l'État, à tous les niveaux il a été le grand ordonnateur de cette fraude, grâce à quoi, en employant des intermittents au lieu d'employer les mêmes avec de véritables contrats de travail, il a pu, avec les économies réalisées, arroser ses amis les privilégiés de cadeaux et de passe-droits en tous genres. Ne parlons pas de ces parvenus, directeurs de compagnie, qui aujourd'hui crachent sur ce qu'ils ont été dans leur jeunesse, en osant condamner la lutte en cours au nom de leur bonne place d'aujourd'hui.

Mais les cris et l'indignation de ces gens-là ont quelque chose de réjouissant car, dans le domaine de la "Culture", avec un grand C, ils redécouvrent une vérité première: c'est que ce sont toujours les ouvriers, du spectacle cette fois, "qui font marcher le bastringue", comme on disait autrefois.

Partager