Un patronat de haut vol et ses complices26/06/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/06/une1821.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Un patronat de haut vol et ses complices

Une commission d'enquête parlementaire vient de remettre son rapport sur la faillite de la compagnie aérienne Air Lib, enregistrée en février dernier. Ses conclusions, transmises à la Justice, montrent notamment que le dernier PDG en date d'Air Lib, Jean-Charles Corbet, est "incontestablement plus riche qu'il y a deux ans", quand il prit la direction de la compagnie.

Alors que celle-ci battait de l'aile et venait déjà de licencier plusieurs milliers de ses travailleurs, auxquels s'ajoutait un nombre équivalent de salariés de filiales et de sous-traitants, Corbet s'est ainsi versé 1,2 million d'euros de salaires sur un an et demi, dont ce que le monde patronal appelle un "golden hello": une prime de "bienvenue dorée" pour 885000 euros. Prévoyant une faillite, et donc une saisie des actifs de la compagnie (à commencer par ses avions), il en avait aussi transféré la majeure partie (40 millions d'euros) à des sociétés qu'il avait créées tout exprès dans des paradis fiscaux.

Mais il n'était pas le seul à avoir prospéré dans cette débâcle organisée. Ses deux principaux adjoints ont touché chacun 420000 euros de salaire en six mois. Mieux, une banque canadienne, un cabinet d'avocats et quelques autres "conseils" de la compagnie ont, eux, raflé le gros lot: près de 30 millions d'euros, soit l'équivalent de ce que l'État a prêté à Air Lib durant le même temps.

Majoritaire au Parlement, et donc dans la commission d'enquête, la droite en profite évidemment pour mouiller le précédent gouvernement. Car c'est celui de Jospin qui avait patronné la reprise de la compagnie par Corbet, présentée notamment par le ministre des Transports d'alors, Gayssot, comme la solution pour "sauver Air Lib et les emplois".

On sait ce qu'il en a été: tandis que certains s'enrichissaient de façon éhontée, les 3200 derniers salariés rescapés du naufrage d'AOM-Air Liberté, devenu Air Lib, se sont finalement retrouvés à la rue.

On serait tenté de dire que c'est la routine, tant ce scénario écoeurant s'est déjà déroulé bien des fois lors de fermetures d'entreprises. Ici, une fois n'est pas coutume, un rapport officiel épingle certains de ces charognards dorés. Mais on aurait bien tort de s'en réjouir. Car, si l'affaire fait quelque bruit, sur fond de règlements de comptes politiciens entre l'actuelle majorité et la précédente, l'une comme l'autre ont tout fait pour masquer et dédouaner le principal responsable et bénéficiaire de toute l'opération.

Évidemment, ce n'est pas n'importe qui. C'est le baron Seillière, le "patron des patrons" et le fondé de pouvoir d'une des familles les plus puissantes de la bourgeoisie française: les de Wendel. Or, c'est lui qui, en 2001, a provoqué la disparition d'AOM-Air Liberté en en retirant ses capitaux, avec un très gros bénéfice garanti par contrat. C'est lui, alors associé à Swissair, qui était l'actionnaire principal d'AOM-Air Liberté, sur le dos de laquelle il avait prélevé d'énormes profits durant des années.

À Seillière, il n'est bien sûr pas fait allusion dans ce rapport. Et la droite a beau jeu, maintenant, d'accuser l'ancien gouvernement d'avoir "retardé d'un an" le dépôt de bilan d'Air Lib en y injectant, "à perte", des dizaines de millions d'euros. Outre que ces sommes n'ont, au contraire, pas été perdues pour tout le monde - on l'a vu -, il n'y a aucun risque que Gayssot, Jospin ou d'autres ex-ministres du précédent gouvernement avouent que s'ils ont agi ainsi, c'était finalement déjà, eux aussi, pour protéger les actionnaires du clan Seillière.

Le gouvernement Jospin a préféré piocher dans les fonds publics, dans l'espoir sinon d'éviter la faillite programmée d'Air Lib, du moins qu'elle ne vienne pas s'ajouter au sombre bilan que les électeurs populaires pouvaient à juste titre lui reprocher au moment de la présidentielle. Mais, plus encore, ce qui est en cause là, une nouvelle fois, c'est son refus de lever le petit doigt contre le grand patronat, de s'en prendre à un des "fleurons" du capitalisme français.

Mais, même si ce rapport débouche sur un procès, il n'y a pas grand risque à parier que de cela nul ne parlera, ni les accusateurs hypocrites de droite, ni cette gauche gouvernementale qu'ils montrent du doigt.

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