Le trou de la Sécu ? Creusé par le patronat !26/06/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/06/une1821.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Le trou de la Sécu ? Creusé par le patronat !

Revoilà le "trou de la Sécu". En fait ce fameux déficit de la Sécurité sociale réapparaît à chaque fois qu'un gouvernement veut justifier de nouvelles mesures attaquant le niveau de vie des salariés et leur droit à la santé. Justement, le gouvernement prépare une réforme de l'assurance-maladie visant le non-remboursement ou la baisse du remboursement de nombreux médicaments, le transfert de la couverture vers des complémentaires ou des assurances privées, en bref l'instauration d'une médecine à deux vitesses et une privatisation de la santé. Comme pour les retraites, quoi de mieux qu'un déficit, rebaptisé gouffre, pour faire passer des mesures?

Le gouvernement met en avant des chiffres destinés à frapper (et à culpabiliser) les esprits: le déficit serait de 7,9 milliards d'euros en 2003 après avoir été de 3,4 milliards d'euros en 2002.

Et l'explication souvent avancée est qu'on se soigne trop, qu'on vit de plus en plus vieux et qu'en conséquence, en matière de santé, il faudra dépenser moins et payer plus.

Tout d'abord, sur le plan du principe, il n'y a rien de choquant à ce que la Sécurité sociale soit en déficit: parle-t-on du "trou de l'armée", du "déficit des dépenses militaires" pourtant bien plus impressionnantes et bien moins utiles? Pourquoi la Sécurité sociale devrait-elle être rentable? Demande-t-on à l'Éducation nationale de l'être? Il est normal que la population voie son espérance de vie allongée, qu'elle puisse bénéficier des résultats de la recherche en matière de santé et de l'apparition de matériel moderne quel qu'en soit le coût.

Un trou causé par les bas salaires et le chômage

7,9 milliards d'euros de déficit sont-ils vraiment un gouffre? Mais cela ne représente que 0,5% de la richesse nationale produite en 2002. Pour un smicard gagnant 12000 euros par an, cela fait l'équivalent d'un trou annuel de 60 euros. Inutile de dire que les découverts des travailleurs sont malheureusement souvent plus importants.

Si le déficit a augmenté en 2002 et 2003, ce n'est pas à cause d'une folle envolée des dépenses des soins. Les dépenses augmentent de 6% en moyenne d'une année sur l'autre (5,8% en 2001, 7,2% en 2002 et 6,4% en 2003) et ce rythme continuera vraisemblablement à l'avenir.

En revanche, les recettes de la Sécurité sociale (essentiellement les cotisations assises sur les salaires) ont plongé avec la masse salariale. Alors que celle-ci avait progressé de 6,4% et 6,5% en 2000 et 2001 (assurant même un bénéfice), elle n'a progressé que de 3,2% en 2002 et cette progression ne sera que de 2,7% en 2003. Or 1% de la masse salariale rapporte 1,5 milliard d'euros à la Sécu.

Cette baisse est donc d'abord due à la faiblesse des augmentations de salaires et surtout à la montée du chômage et aux plans sociaux.

C'est bien le patronat qui est d'abord responsable à ce titre du déficit.

Le patronat aux cotisants absents

Le montant des exonérations de cotisations patronales a été multiplié par six entre 1993 et 2002, passant d'environ 3 milliards d'euros à près de 19,5 milliards pour le régime général de la Sécurité sociale. Les cotisations payées par les employeurs de salariés (hors entreprises individuelles) ne représentent plus que 43% du total des ressources de la Sécu. Cette part était de 46% en 1995 et de 54% en 1989. Il suffirait d'augmenter ce qui reste comme cotisations patronales du secteur privé (99 milliards d'euros) de 8% pour combler le trou de la Sécu qu'on nous présente comme gigantesque! De plus, il faut tout de même signaler qu'en 2002, les cotisations patronales dues aux Urssaf et donc à la Sécurité sociale s'élèvent à 8,6 milliards d'euros. Si les patrons payaient leur dette, il n'y aurait aucun déficit.

Les salariés et les consommateurs payent pour les patrons

Pour compenser le manque à gagner dû à l'exonération des cotisations patronales, en 2000 a été créé le Forec (Fonds de financement de la Réforme des Cotisations patronales de Sécurité sociale). Mais cet organisme ne compense pas totalement le manque à gagner. 2,2 milliards d'euros de cadeaux aux riches ne sont pas compensés, en particulier l'aide pour les emplois à domicile (les domestiques).

Et puis surtout, on affecte au Forec des ressources qui normalement revenaient initialement à la Sécu. Ainsi les taxes sur les tabacs, l'alcool destinées normalement à la Sécu ont été transférées au Forec.

Ce mouvement s'accélère. La taxe auto a été transférée en 2002 de la Cnam (Caisse Nationale d'Assurance Maladie) au Forec (environ 900 millions d'euros de perte pour la branche maladie). La caisse vieillesse (Cnav) a perdu la moitié du prélèvement social sur les revenus du patrimoine (soit 300 millions d'euros)

Au total la Cnam a vu ses recettes sous forme d'impôts et taxes (Itaf) passer de 4583 millions d'euros en 2000 à 2073 millions d'euros en 2002 (soit 2510 millions d'euros de pertes, le tiers du déficit). Comme on le voit, une bonne partie du trou est complètement fabriqué et résulte d'un transfert comptable au détriment des caisses d'assurance. En tout cas, les fumeurs, les buveurs, les conducteurs qui payent la taxe générale sur les activités polluantes, la taxe sur la prime d'assurance, etc., doivent savoir qu'ils financent non pas la Sécu mais les exonérations des patrons. Et, pas gêné, le gouvernement a augmenté toutes ces taxes sur la consommation (payées également par le smicard et le milliardaire) de 22% en 2002 et encore de 7% en 2003.

Le public finance le privé

Côté dépenses, des mesures choquantes ont été prises. Ainsi, le gouvernement qui faisait rembourser l'IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) par l'État depuis sa création a décidé d'en faire porter le coût à la Sécurité sociale (en vue de dérembourser à son tour l'IVG?).

Par contre, alors qu'on parle des dépenses de soins, on oublie de préciser que l'État, qui fait construire à ses frais casernes et commissariats, fait construire aux frais de la Sécu les hôpitaux publics, bien plus utiles. De plus, il fait aussi figurer 181 millions d'euros dans les comptes de la Sécu pour "le fonds de modernisation des cliniques privées". L'argent de la santé n'a pourtant pas à payer les profits des patrons privés de cliniques. Pas plus qu'il n'a à payer les profits fantastiques des laboratoires pharmaceutiques.

On le voit: il n'y a pas de problème de déficit de la Sécu. À part celui de faire payer au patronat ce qu'il doit, à un titre ou un autre.

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