Marchés publics : Vers plus d'opacité12/06/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/06/une1819.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Marchés publics : Vers plus d'opacité

La nouvelle législation des marchés publics, qui régit la façon dont les grandes entreprises (et les moins grandes) obtiennent des marchés publics, devrait entrer en application au mois de juillet. Imposée par le gouvernement au pas de charge comme le reste, elle suscite des inquiétudes y compris chez ceux qui devraient pourtant en être les principaux bénéficiaires. Subsidiairement, elle devrait ôter une épine du pied à quelques notables "mis en examen".

Cette nouvelle loi, dont les décrets d'application ont été rapidement publiés, montre au moins qu'un gouvernement peut agir vite s'il en a la volonté. A première vue, il s'agit de satisfaire encore mieux les attributaires des marchés publics. Mais il s'agit aussi de satisfaire certains politiciens ayant triché avec les dispositions de la loi antérieure.

Le gouvernement explique évidemment autrement sa célérité. L'ancien système, prétend-il, était "trop compliqué" pour les principaux intéressés. Ceux-ci ont pourtant su en tirer bien des avantages, il suffit de consulter les bilans des principaux groupes du BTP.

La principale disposition du nouveau système est de relever le plafond en dessous duquel il ne sera pas nécessaire de faire un appel d'offres pour des marchés publics. Ce plafond est tellement relevé -il passe de 90000 euros à 6,2 millions d'euros!- qu'il ne sera désormais plus nécessaire de faire appel à cette procédure pour 94% des marchés de l'État et 98% de ceux des collectivités locales. Les représentants de l'État dans les commissions concernées, de même que les comptables publics, n'y siégeront désormais que s'ils sont invités à le faire. Disparaît également le découpage des marchés en lots, puisqu'il devient "facultatif"!

La nouvelle loi a déjà soulevé des protestations du côté des petites et moyennes entreprises, qui craignent d'être tenues à l'écart et que toute la manne aille aux grands groupes du BTP. Même Bouygues, pourtant grand praticien de la chose (et grand bénéficiaire de l'ancien comme du nouveau système), a manifesté lui aussi des réserves. Craindrait-il, si tout échappe à un minimum de contrôle de l'État, que le nouveau système ne lui assure plus les mêmes garanties que du temps où l'État savait qui il devait protéger?

De toute façon, le nouveau système, qui va avoir pour première conséquence de faire s'envoler un peu plus les coûts, s'inscrit dans la continuité de ce à quoi on a assisté ces dernières années quand, par exemple, les entreprises s'entendaient pour renchérir en moyenne de 25% le montant de leurs offres. Avec le nouveau système, les "grands" du secteur n'ont pas fini de prospérer, et les "petits" paieront les pots cassés.

Pendant qu'il y était, le gouvernement a introduit des contrats de partenariat public-privé qui permettront désormais à une seule et même entreprise d'assurer la conception, la réalisation et l'entretien d'un ouvrage public. De quoi satisfaire un groupe disposant de toutes les filiales nécessaires pour assurer de A à Z une opération de ce genre, comme Dumez ou... Bouygues.

Accessoirement, cette procédure va rétablir des dispositions supprimées de la loi antérieure, dont les conséquences étaient apparues au grand jour lors de différentes affaires de corruption où se mêlaient allégrement les noms d'entreprises du bâtiment et de politiciens connus.

L'affaire des marchés des lycées d'Ile-de-France avait ainsi révélé un délit d'entente: les entreprises s'entendaient pour se partager les contrats. Pour que les autorités ferment les yeux, des pots-de-vin étaient versés aux principaux partis politiques. Cela concernait tous les partis qui composent l'actuelle UMP, mais aussi le PS.

En modifiant ainsi la loi sur l'attribution des marchés publics, outre le pactole qu'il assure aux entreprises concernées, le gouvernement entrouvre aussi une issue à des affaires de corruption, dont les procédures en cours sont actuellement enlisées dans les lenteurs de la justice. Certains notables, à Nice ou à Marseille, soupçonnés de "favoritisme" parce qu'ils ont contourné dans le passé les procédures prévues par la loi antérieure, pourraient ainsi sortir à leur avantage des procédures engagées contre eux, puisque la loi est changée.

Et parmi ces procédures embourbées, il y a l'affaire des HLM de la Ville de Paris, instruite par le juge Halphen, et qui mettait en cause, entre autres, un ancien maire de Paris devenu depuis président de la République, intouchable du temps de son mandat... et vraisemblablement après.

On disait autrefois que la Ve République s'était placée sous le signe du béton parce qu'elle avait beaucoup profité aux grands groupes de l'immobilier et de la construction. En assurant la fortune des uns, les politiciens assuraient, par un système de renvoi d'ascenseur, leur propre carrière. En rajoutant un peu d'opacité au système, le gouvernement ne devrait pas nuire aux affaires, au contraire.

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