Allocution d'Arlette Laguiller, dimanche 8 juin (extraits) : "il faut quele mouvement se généralise"12/06/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/06/une1819.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Allocution d'Arlette Laguiller, dimanche 8 juin (extraits) : "il faut quele mouvement se généralise"

(...) "De toute évidence, le gouvernement ne s'attendait pas à la réaction que ses mesures ont provoquée. Il ne s'attendait pas à la ténacité du personnel de l'Éducation nationale. Il ne s'attendait pas à ce que les journées nationales successives appelées par les syndicats soient massivement suivies.

Il ne s'attendait pas à ce que, entre deux journées nationales de grèves et de manifestations, celles-ci continuent à l'Éducation nationale mais aussi parmi un nombre croissant de travailleurs d'autres services publics.

Malgré les annonces répétées des directions de la SNCF, de la RATP et du ministre des Transports sur le rétablissement complet du service, à Paris, sur plusieurs lignes il n'y a pas ou il y a peu de métros, dans le pays bien des trains ne circulent pas. Et, dans beaucoup de villes, les transports urbains sont complètement paralysés. Et la mobilisation touche des catégories variées de travailleurs, du personnel hospitalier aux postiers, des travailleurs d'EDF-GDF à ceux des collectivités territoriales, des agents des impôts et de l'équipement aux intermittents du spectacle. Et, même en ce week-end, le mouvement touche les régions, chacune à son rythme.

Le gouvernement se faisait sans doute une raison par avance d'une ou deux journées nationales comme baroud d'honneur. Il ne s'attendait pas à de telles grèves. Il s'y est brûlé les doigts, et c'est déjà un succès du mouvement.

Eh bien oui, par l'intermédiaire de ceux qui se sont mis en mouvement, le monde du travail envoie un cinglant désaveu au gouvernement qui ose prétendre vouloir sauver les retraites alors qu'il fait le contraire. (...)

Mais comment pourrait-il en être autrement, tant l'attitude du gouvernement est provocante? Et tant il apparaît scandaleusement injuste que plus la productivité augmente, moins ceux qui en sont les artisans en bénéficient. (...)

Et comment croire les arguments des ministres lorsqu'ils disent que, dans quelques années, il n'y aura plus d'argent pour les retraites alors qu'on voit valser des milliards et qu'un des procureurs du procès Elf déclare qu'il a été effaré par "les sommes démesurées" qui valsaient entre les mains des dirigeants de la société pour finir par être détournées. Pourtant, il s'agissait à ce point de miettes par rapport aux profits de ce trust, par rapport à ces profits que les actionnaires empochent discrètement et tout à fait légalement, qu'ils ne s'en apercevaient même pas.

Alors, bien sûr, de l'argent, il y en a. Ce qui est en cause, c'est l'usage qu'on en fait. Car le prétendu problème des retraites, comme celui du prétendu déficit de la Sécurité sociale, exprime seulement le fait que, par toutes sortes de mécanismes, on prélève sur les salariés des parts de la richesse sociale pour les détourner vers la classe capitaliste.

C'est pour les mêmes raisons fondamentales que les gouvernements qui se succèdent diminuent parfois relativement, et souvent dans l'absolu, les crédits accordés aux services publics.

Les hôpitaux manquent scandaleusement d'effectifs et de moyens. Dans l'Éducation nationale, on se débarrasse du personnel non enseignant, comme les surveillants, les médecins scolaires ou les assistantes sociales, dont la présence est pourtant indispensable au bon fonctionnement de l'enseignement. La Poste supprime des bureaux dans un nombre croissant de petites villes et de villages, et à Paris, on diminue la distribution quotidienne au strict minimum, et il faut des attentes interminables pour envoyer un mandat ou retirer une lettre recommandée. Quand on ne ferme pas des maternités et des hôpitaux de proximité, on ferme des services indispensables définitivement ou par rotation. Toute cette régression sociale pour ne pas perdre une miette des profits des puissances financières. (...)

Au bout du compte, les mesures prises par les gouvernements successifs, au-delà de leur contenu politique, ont une chose en commun: elles visent toutes à augmenter la part du patronat et de la bourgeoisie dans le revenu national, au détriment des salariés.

Voilà pourquoi, si l'objectif des luttes actuelles doit être d'obliger le gouvernement à retirer le projet Raffarin-Fillon sur la retraite et le projet Ferry sur l'Éducation nationale, leur signification va bien au-delà. Le monde du travail a montré déjà qu'il n'accepte pas et peut-être n'acceptera plus les attaques contre ses conditions d'existence.

Les ministres qui se relaient sur les antennes accusent les grévistes de paralyser le pays. Eh oui, ceux qui peuvent paralyser le pays, ce sont précisément ceux qui le font marcher! Et ces messieurs les ministres, comme les patrons, ne s'aperçoivent que lorsque les travailleurs décident de s'arrêter que les métros et les trains ne roulent pas tout seuls, que les usines ne tournent pas sans ouvriers, que l'enseignement ne se fait pas sans le personnel de l'Education nationale, que le courrier n'est pas distribué sans postiers!

Et l'on entend les ministres répéter que les grévistes prennent les usagers en otages. Mais, si attendre longtemps un train ou ne pas avoir de métro est sûrement désagréable, travailler deux ans, cinq ans de plus est certainement infiniment plus dur. C'est le gouvernement qui, pour plaire aux milieux financiers, prend toute la population laborieuse en otage, pas les travailleurs qui se défendent!

La grève est encore loin d'avoir touché les gros bataillons du monde du travail. Mais cela montre seulement qu'elle a d'immenses champs pour se développer. Et rien que le fait que le mouvement dure depuis plusieurs semaines montre que les arguments du gouvernement et de ses serviteurs ne prennent pas.

Pas de chefs d'orchestre clandestins...

La propagande gouvernementale veut voir aussi derrière le mouvement des chefs d'orchestre ou des agitateurs clandestins. C'est un argument bien utilisé depuis des décennies, mais bien usé aussi. Mais si le mouvement se développe, si des centaines de milliers de travailleurs répondent aux appels à manifester, si, entre deux journées de manifestation, les arrêts de travail continuent et des secteurs nouveaux basculent dans la grève, c'est parce que c'est l'écrasante majorité des salariés qui refuse le projet gouvernemental.

Et, en réalité, ce qui inquiète le gouvernement, c'est justement qu'il sait qu'il n'y a pas de chefs d'orchestre, ni clandestins ni ouverts. Si le mouvement répondait seulement au choix de certaines confédérations syndicales, le gouvernement pourrait espérer pouvoir satisfaire leurs directions syndicales par des promesses de négociations assorties de quelques concessions secondaires. On a vu avec quelle facilité la direction de la CFDT, qui avait appelé à manifester le 13 mai, s'est, en quelques heures, couchée devant le gouvernement et comment Chérèque est devenu le porte-parole attitré de Raffarin parmi les salariés. Et le fait que les autres directions syndicales, tout en ayant une attitude et un langage plus radicaux, ne revendiquent pas le retrait pur et simple du projet Raffarin-Fillon, mais seulement d'autres négociations, est sûrement le dernier espoir du gouvernement.

Mais la grève a bien d'autres voies devant elle pour se développer et pour se généraliser. Et ces moyens, ce sont les grévistes eux-mêmes, ces dizaines de milliers de grévistes de l'Enseignement, de La Poste, d'EDF-GDF, de la SNCF, qui représentent une force considérable, insuffisante encore pour gagner contre le gouvernement mais assez puissante pour propager la grève d'une entreprise à une autre, d'une catégorie de travailleurs à une autre.

Sans doute, ces groupes d'enseignants qui rendent visite aux dépôts RATP pour entraîner des chauffeurs de bus dans la grève, ces postiers qui vont vers une entreprise privée pour expliquer en quoi le mouvement concerne tous les travailleurs, ne représentent pour le moment qu'une forme embryonnaire dans le mouvement. Mais cela montre la voie à suivre

(...) Un mouvement social qui mobilise réellement des dizaines ou des centaines de milliers de travailleurs a un dynamisme, une créativité et une imagination qu'aucun chef d'orchestre, clandestin ou pas, ne peut artificiellement susciter.

Et, en réalité, ce n'est pas encore l'ampleur du mouvement qui inquiète le gouvernement. Ce qui l'inquiète, c'est sa durée et son évolution. Parce qu'un mouvement propagé par les travailleurs eux-mêmes est incontrôlable au sens où le gouvernement l'entend. Il n'y a pas de chef avec qui faire des tractations, il n'y a pas d'appareil avec qui négocier.

Alors oui, il faut que le mouvement se généralise, et se généralise de cette façon-là, avec des assemblées générales démocratiques, à la base, avec des contacts entre travailleurs de différents secteurs, en gardant son caractère non corporatiste. Car c'est comme cela que se développera la conscience que tous les travailleurs ont les mêmes intérêts et la conscience qu'uni dans la lutte, le monde du travail représente une force à laquelle la petite cohorte gouvernementale, ignorant tout de la réalité sociale, ne sera pas capable de résister" (...)

Et, encore une fois, s'il est important de faire revenir le gouvernement sur les retraites et la décentralisation, c'est tout aussi important sur le reste. Si le gouvernement a eu la bêtise d'essayer de faire passer un ensemble de mesures contre les salariés d'un seul coup, c'est qu'il pensait, du haut des 82% des suffrages pour Chirac et de sa victoire dans la foulée aux législatives, qu'il pourrait faire n'importe quoi et qu'il n'y aurait pas de réaction de la part des travailleurs.

Il croyait peut-être que le pays était à l'image du Parlement, c'est-à-dire à sa botte. Mais, contrairement aux affirmations de Raffarin et des siens, la rue peut défaire ce que le plébiscite de Chirac a fait. Et, si les politiciens de gauche ne se sont pas encore remis du désaveu infligé à Jospin, cela n'a pas démoralisé les travailleurs. Ils attribuent, à juste titre, bien moins d'importance aux simagrées électorales dont on présente le résultat comme décisif.

Au début du mouvement, Raffarin avait annoncé, avec suffisance: "Ce n'est pas la rue qui gouverne". Mais il sait, lui, que ce ne sont pas les urnes non plus. Non! C'est l'argent et ceux qui en possèdent qui gouvernent. C'est le grand patronat qui gouverne le gouvernement.

Eh bien la rue, la force des travailleurs, peut faire reculer le pouvoir de l'argent. Elle peut faire ravaler leur morgue aux pantins qui croient qu'ils gouvernent alors qu'ils ne font qu'exécuter les basses oeuvres des possédants.

* * *

Alors, camarades, contrairement à hier, le ciel n'est pas avec nous, soit. Mais le soleil est dans nos coeurs. Donc, amusons-nous, discutons de tout et du reste en refaisant le monde!

Parce que, dès mardi, nous devons faire en sorte que la journée de grèves et de manifestations à laquelle appellent plusieurs centrales syndicales soit un succès. Et les jours qui viennent, nous devons continuer à oeuvrer pour que les grèves continuent et que, portées par les travailleurs eux-mêmes, elles se transforment de grèves limitées, en une grève de l'ensemble du monde du travail.

Alors camarades, je vous souhaite une bonne et joyeuse fête pendant deux jours!

Vive la fête, vive la grève !"

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