Irak : Bain de sang et menaces contre les masses pauvres10/04/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/04/une1810.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Irak : Bain de sang et menaces contre les masses pauvres

Au vingtième jour de l'invasion, l'armée anglo-américaine contrôle désormais une grande partie de Bagdad. Mais dans plusieurs quartiers se livrent encore des combats.

Si l'on en croit les propos d'un journaliste spécialisé dans les affaires militaires rapportés par Le Monde, le prétendu souci d'épargner la population civile affiché par l'état-major américain, ne s'applique guère sur le terrain. Les tanks Abrams, explique ce correspondant, "tirent sur tout ce qui bouge, tout ce qui est suspect. C'est feu à volonté (...). Ils n'ont pas de discipline de feu. L'initiative est laissée aux soldats, à des gamins de vingt ans. C'est pour cette raison qu'ils tirent aussi sur des civils(...). Ils se vengent encore du 11 septembre et il n'y a aucune sanction quand un soldat tue des civils(...). J'ai l'impression que c'est aussi une manière de masquer leur peur. Ils ont très peur et ça empire à chaque fois qu'ils ont des pertes".

Il faut dire que dans ce domaine l'exemple vient de haut. N'est-ce pas l'état-major américain qui s'était vanté d'avoir fait 2000 victimes irakiennes au cours des deux premiers jours de l'offensive contre Bagdad? Et, parmi ces victimes, ne comptait-on pas, entre autres, la population entière de deux villages réduits en cendre par une avalanche de missiles?

On continue à nous dire que la seule cible de cette guerre est le régime de Saddam Hussein. Et on n'en finit pas de nous montrer les splendeurs des palais du dictateur -splendeurs toutes relatives, comparées aux châteaux de la reine d'Angleterre, aux résidences ubuesques de certains milliardaires américains, sans parler de celles des piliers de l'impérialisme que sont les seigneurs des émirats arabes. Mais ces splendeurs peuvent-elles faire oublier les amas de décombres, fruit du dernier cri de la technologie des trusts de l'armement, qui servent de tombe à tant d'hommes, de femmes et d'enfants qui n'ont jamais pu choisir -pas plus cette guerre voulue par l'impérialisme que la dictature de Saddam Hussein que les grandes puissances ont si longtemps soutenue?

La réalité, c'est que la nature de cette guerre d'invasion et la disproportion des moyens militaires qui y sont mis en oeuvre en font un acte terroriste dont la population est la principale victime mais aussi, bien plus que le régime, la principale cible.

D'ailleurs, depuis que les troupes anglo-américaines ne se contentent plus d'isoler les grandes villes en les contournant, se pose de plus en plus le problème de l'attitude de la population à leur égard.

C'est ce que l'on peut voir à Bassora. Face à une population qui se montrait peu accueillante, l'état-major britannique a mis le siège à la ville, la privant en grande partie d'électricité, d'eau potable et d'aliments frais. Après deux semaines de ce régime, les généraux se sont sentis assez forts pour passer à l'attaque et, à les en croire, ils auraient pris le contrôle de la quasi-totalité de la ville, "en-dehors de quelques poches de résistance".

Mais c'est précisément là qu'ont commencé les problèmes. Non seulement la population de Bassora a accueilli les envahisseurs avec défiance, mais elle ne fait preuve d'aucune résignation. Les soldats ont beau se livrer à une chasse à l'homme en règle, fouillant les quartiers maison par maison, soi-disant pour débusquer les dignitaires du régime, mais sans doute surtout pour y prendre les innombrables armes que détient la population, ils sont impuissants lorsque des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sans armes, se livrent au pillage de tout ce qu'ils peuvent trouver dans les anciens locaux officiels, ou lorsqu'ils prennent d'assaut des convois de ravitaillement, y compris certains destinés à l'armée anglaise. Comme le disait avec inquiétude un officier supérieur britannique sur le terrain, "nous ne sommes pas équipés pour faire face à une telle situation" -tout au moins pas équipés pour le faire sans tirer dans le tas et risquer un soulèvement.

L'état-major britannique a donc nommé un chef de tribu irakien à la tête d'une administration fantôme dans l'espoir de recréer une apparence de légalité. Mais cette légalité fictive ne peut que se heurter à une réalité bien palpable, celle de la misère omniprésente dans cette ville qui est aussi le plus grand centre ouvrier du pays, une misère rendue endémique par la domination impérialiste et dramatiquement aggravée par douze années de sanctions économiques occidentales.

Derrière les discours sur leurs prétendus "buts démocratiques", les dirigeants anglo-américains savent que les masses pauvres d'Irak, et elles seules, auraient les moyens de se mettre en travers de leurs plans. Ce n'est pas pour rien si l'état-major américain a donné l'ordre de ne plus détruire les tanks et véhicules blindés irakiens, afin qu'ils puissent resservir une fois la guerre terminée -et resservir à qui, sinon à la future police irakienne qui, sous les ordres des forces d'occupation, sera chargée d'écraser dans le sang toute velléité de révolte dans la population. Quant au plan anglo-américain d'administration du pays présenté lors du sommet de Belfast, il parle explicitement de réutiliser les cadres du parti Baas, après en avoir écarté les plus hauts dignitaires, pour les structures de l'appareil de répression de l'après-guerre.

Ainsi, selon les plans de Washington et de Londres, la population irakienne passerait-elle d'une dictature à une autre, sans même un changement de nervis, d'arsenal ou d'uniforme, sous la haute surveillance des troupes d'occupation occidentales. Mais rien n'est encore joué. A force de semer l'oppression, la misère et la mort, l'impérialisme semble déjà avoir réussi à s'aliéner une partie au moins des masses pauvres irakiennes. Et il n'est pas dit que celles-ci se laisseront terroriser au point de laisser le champ libre à ces plans.

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