La mort de Jean-Luc Lagardère : Une fortune alimentée par l'argent public20/03/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/03/une1807.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

La mort de Jean-Luc Lagardère : Une fortune alimentée par l'argent public

La mort de Jean-Luc Lagardère a suscité une avalanche de louanges digne d'un chef d'État. Et encore, pas d'un chef d'État de petite pointure. Les patrons y ont été de leur hommage. Normal! Les hommes politiques aussi. Ceux de droite bien évidemment. Lagardère ne cachait pas ses attaches gaullistes, puis chiraquiennes. Mais les politiciens de gauche, Mauroy, Fabius, Delanoë, parmi d'autres, s'y sont mis aussi, et même le directeur de L'Humanité, Patrick Le Hyaric, s'est joint à ce concert de louanges, exprimant sa tristesse au rejeton du défunt, Arnaud Lagardère. "La France, écrit-il, perd un entrepreneur attaché à son développement et à l'intérêt national", ajoutant qu'"il était très attaché à la presse écrite et à son pluralisme". Il est vrai que Jean-Luc Lagardère était l'un des deux ou trois capitalistes qui avaient, généreux mécènes, contribué à éviter la faillite au quotidien du PCF.

Plutôt que de dire qu'il a bien servi la France, mieux vaudrait dire que la France l'a bien servi, au travers des chefs d'État et de gouvernement qui se sont succédé.

Car une bonne fée, la fée étatique, s'est penchée sur le sort de cet ingénieur qui, nous dit on, parti de rien, s'est construit un empire.

Sa spécialité, celle qui lui a permis de construire sa fortune et son influence, a été avant tout le commerce des armes. Il a commencé sa carrière chez Dassault, avant de rejoindre Matra et d'y faire fabriquer des engins de mort, que ce soit sous forme de missiles ou d'équipements électroniques divers, pour les vendre à des tas de gouvernements, pour une bonne part des dictatures, qui de tout temps ont figuré en bonne place dans le carnet de commandes de Matra et de ses avatars. Sadam Hussein fut l'un de ces bons clients.

Et puisque l'actualité nous y ramène, on peut rappeler que "la France", autrement dit Matra, Dassault, Thomson, Aérospatiale (aujourd'hui EADS, groupe dans lequel le groupe Lagardère joue un rôle-clef), a été l'un des grands fournisseurs d'armes du dictateur de Bagdad.

À chaque fois, les chefs d'État ou de gouvernement ont favorisé les acquisitions de Jean-Luc Lagardère.

En 1980, quand il a voulu étendre son emprise sur les médias -il avait déjà quasiment hérité d'Europe 1- Giscard d'Estaing est intervenu pour qu'il puisse racheter le groupe Hachette, pour un prix défiant toute concurrence. Au début des années quatre-vingt-dix, c'est à François Mitterrand et au Crédit Lyonnais qu'il a dû d'échapper à la faillite. La banque alors nationale avait généreusement accepté d'effacer la dette que Lagardère avait contractée en essayant de relancer La Cinq, chaîne de télé qu'il avait voulu acquérir pour faire la pige à Bouygues qui s'était, lui, payé TF1. En 1999, ce fut au tour de Jospin de lui apporter sur un plateau le groupe aéronautique EADS, résultat de la fusion des plus grands avionneurs français. Quant à Chirac, il l'a aidé à devenir le premier éditeur français en rachetant au groupe de Jean-Marie Messier le secteur édition de Vivendi Universal.

On veut faire rêver dans les chaumières et les HLM avec ce conte pour enfants racontant le destin de ce jeune homme, pétri de talents et plein d'ambition, issu d'un petit village gascon, et qui, à force de travail, serait arrivé à la tête d'un des plus puissants trusts du pays et d'une fortune personnelle colossale, dépassant le demi-milliard d'euros, le plaçant dans les premiers rangs des fortunes de France. Mais tout cet argent représente la part qu'il s'est octroyée sur le travail des dizaines de milliers d'ouvriers qui travaillaient pour lui.

La presse parle de "l'empire" Lagardère. De fait, le pouvoir de ces grands patrons est quasiment féodal. Personne ne les a élus à la tête de ces prétendus empires industriels, sur lesquels ils règnent sans partage.

Jean-Luc Lagardère avait intronisé son fils, Arnaud, comme dauphin officiel. Et il s'en trouve pour s'extasier sur ces nouvelles "dynasties". Dans tout cela, nul contrôle de la population ou des salariés, nulle élection, si ce n'est parfois par leurs "pairs".

Lagardère ne laisse rien, sinon son sens des affaires et sa fortune. Mais son nom n'est pas attaché à une invention qui se traduirait par un bienfait pour l'humanité. Il n'a été qu'un héros de ce système, et il est après tout naturel que ses tenants et ceux qui en tirent profit se reconnaissent en lui. Grand bien leur fasse.

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