Il y a soixante-dix ans : L’incendie du Reichstag, l’acte de naissance du régime nazi27/02/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/02/une1804.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a soixante-dix ans : L’incendie du Reichstag, l’acte de naissance du régime nazi

Le 27 février 1933 au soir, le Reichstag, le parlement allemand, flambait. Sur place, la police trouva un chômeur hollandais, prétendument sympathisant du Parti Communiste allemand: en fait un illuminé manipulé par les nazis. Le soir-même, Hitler, qui avait été nommé un mois plus tôt chancelier (Premier ministre) déclara que "le moment était venu d'en finir avec le communisme".

Le signal de l'extermination du mouvement ouvrier

La provocation grossière constituée par l'incendie du Reichstag fournit le prétexte d'une terreur sans précédent, d'abord contre les communistes mais plus généralement contre tous les militants ouvriers. La presse communiste fut interdite ainsi que l'ensemble de la presse social-démocrate.

Dès la première nuit, des milliers de militants communistes furent arrêtés et devinrent les premiers à inaugurer les camps de concentration, qui connurent ensuite un sinistre développement. Dès lors, dans les quartiers ouvriers, chaque nuit, retentirent les bruits de bottes des SA ou des SS, les milices armées nazies, venant arrêter ou assassiner les militants et les opposants.

Comme partout dans les pays capitalistes développés, mais plus encore en Allemagne, la crise des années trente et la faillite complète de l'économie capitaliste se doublaient d'une crise politique majeure. Dans ce pays la production industrielle baissa de 40%. Le chômage passa de un million à six millions de chômeurs, les salaires moyens chutèrent de moitié.

Avec la crise, non seulement la classe ouvrière mais aussi des pans entiers de la petite bourgeoisie, artisans, commerçants, paysans ruinés, devenaient enragés, prêts à suivre n'importe quel démagogue. Le nazisme enrôla des centaines de milliers d'entre eux, leur distribuant une soupe, une solde, un uniforme, leur donnant l'occasion d'en découdre et les envoyant faire le coup de poing, voire le coup de revolver, contre les manifestations et les meetings ouvriers et saccager leurs locaux. En 1932, il ne se passait pas une nuit sans affrontement violent, parfois mortel, entre militants le plus souvent communistes et nazis.

Dès 1930, les principaux dirigeants de l'industrie lourde décidèrent officiellement de financer le mouvement nazi. On y trouvait: Gustav Krupp, président du RDI, (l'équivalent du Medef), Thyssen, Siemens, les dirigeants d'AEG, d'IG Farben.

En novembre 1932, tous les grands noms de l'industrie allemande signaient une adresse à Hindenburg lui demandant "la remise de la responsabilité du pouvoir au chef du Parti national le plus important", c'est-à-dire, sans le nommer, le Parti Nazi, le parti de Hitler.

La capitulation de la social-démocratie

Le Parti Social-démocrate allemand (SPD) dans les années trente influençait la majorité de la classe ouvrière. Electoralement il représentait 30% des voix. Mais le SPD, c'était aussi des centaines de milliers de militants ouvriers et le principal syndicat, l'ADGB.

Face aux exactions nazies, le SPD en appelait à l'Etat. Au nom du "moindre mal", il soutint tous les gouvernements de droite qui se succédèrent après 1930. Début 1932, lors de l'élection pour la présidence du Reich, il appela à voter dès le premier tour pour le candidat de la droite, le maréchal Hindenburg, hobereau réactionnaire dont les sympathies politiques n'étaient pas un mystère. Cela n'empêchait pas les dirigeants social-démocrates de dire à l'époque que "Hindenburg était le garant de la Constitution et que pendant sept ans Hitler serait donc écarté du pouvoir". Ce raisonnement en évoque d'autres de la même veine. Le même Hindenburg, quelques mois plus tard, appelait Hitler au pouvoir, dans le cadre légal et en respectant la Constitution.

Pourtant, l'aspiration à engager la lutte à la fois contre les politiques antiouvrières et les agressions fascistes ne faisait pas de doute du côté des ouvriers. De la défensive, la classe ouvrière aurait ensuite pu alors passer à l'offensive, contestant à la bourgeoisie la direction de la société.

Mais au lieu de proposer une politique de front unique de la classe ouvrière, la direction du Parti Communiste allemand (KPD), sous la férule de Staline, développait une ligne politique absurde et suicidaire, prétendant que la social-démocratie et le fascisme étaient des "frères jumeaux" et désignant la social-démocratie comme l'adversaire principal. Le KPD refusa toute action commune avec les dirigeants social-démocrates.

Aux dernières élections qui précédèrent l'accession légale d'Hitler au pouvoir, qui eurent lieu en novembre 1932, les nazis obtenaient certes 11,7 millions de voix (33,1%), essentiellement dues à l'effondrement des partis de droite, moins cependant que la somme des voix recueillies par les deux partis ouvriers, qui a eux deux en cumulaient 13 millions, puisque le SPD en conservait 8 millions et le KPD 5 millions, soit au total 37% des voix.

Les responsabilités

Il est de bon ton aujourd'hui, sans rappeler ni le contexte, ni les rapports de forces, ni les enjeux, de renvoyer dos à dos le Parti Communiste allemand, coupable indéniablement d'avoir eu une politique fausse en appliquant les ordres de Staline, et le Parti Social-démocrate, tout en ayant tendance à exonérer celui-ci de sa responsabilité.

Le Parti Communiste allemand avait encore, à la veille de l'accession d'Hitler et de son parti au pouvoir -dans le cadre constitutionnel- une influence électorale importante, mais surtout une autorité sur la fraction la plus combative, la plus décidée du prolétariat allemand. Il n'a pas su ni voulu se servir de cette influence pour organiser la riposte unitaire qui aurait permis de s'opposer à l'accession d'Hitler au pouvoir. Pour cela, il aurait fallu avoir une politique qui réussisse à entraîner les travailleurs, encore plus nombreux, influencés par les dirigeants social-démocrates.

Mais la responsabilité de ces derniers est bien plus grande encore. Car eux faisaient tout pour détourner les travailleurs qu'ils influençaient de toute lutte pour affronter le nazisme menaçant, et ce n'était pas dans ce cas une menace de pacotille. Ils se satisfaisaient comme ils l'avaient toujours fait depuis des années de discours lénifiants sur la force de la démocratie et des institutions.

Le journal patronal de l'industrie lourde allemande Deutsche Führerbriefe écrivait en septembre 1932, quatre mois donc avant qu'Hitler n'arrive au pouvoir légalement et que de cette position il organise son coup d'Etat dont l'incendie du Reichstag fut l'un des épisodes majeurs: "La social-démocratie avait cet avantage de contrôler les organisations de travailleurs. En paralysant leur énergie révolutionnaire, elle pouvait les enchaîner fermement à l'Etat capitaliste... La social-démocratie capitalisa le mouvement révolutionnaire vers des augmentations de salaires et les mesures politico-sociales. Des usines et de la rue, la lutte passa au Parlement... et aux cabinets ministériels." Le journal patronal voyait malheureusement juste.

Cela se déroulait il y a 70 ans, dans une situation qui était pour ses acteurs immédiats décisive, mais qui fut aussi terriblement tragique pour l'ensemble de l'humanité. Pour en tirer les leçons, et elles restent encore de nos jours vitales, il est nécessaire d'en rappeler les circonstances.

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