Prestige : Les États protègent les pollueurs des mers13/02/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/02/une1802.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Prestige : Les États protègent les pollueurs des mers

Depuis bientôt trois mois que le pétrolier Prestige a coulé au large de l'Espagne, son pétrole et ses marées noires arrivent régulièrement sur les côtes espagnoles et françaises. C'est la population du bord de mer en premier lieu qui fait les frais de cette pollution gigantesque, qui en supporte les désagréments et qui assure en grande partie, et souvent bénévolement, le nettoyage. Mais ce sont aussi l'ensemble des contribuables qui paieront puisque l'État a annoncé qu'il prendra à sa charge ne serait-ce qu'une partie des dégâts. Quant aux responsables directs, eux, ils ne seront pas inquiétés.

Le premier responsable est l'armateur, la société Mare Shipping, qui représente le propriétaire du bateau. Tout ce qu'on sait d'elle, c'est... qu'elle a déjà été remboursée par son assurance pour la perte de son bateau-poubelle ! Il semble impossible de lui faire assumer sa part de responsabilité. Elle est enregistrée au Liberia, pays qui s'est fait une spécialité de protéger l'anonymat des compagnies maritimes et qui est à la circulation des bateaux ce que la Suisse est à la circulation des capitaux : un des rouages du système capitaliste mondial, qui permet aux profits de s'accumuler en toute discrétion.

Quant à l'affréteur du bateau, c'est-à-dire le propriétaire de la cargaison, c'est une société russe, qui ne s'embarrasse pas de principes inutiles. Elle a commencé par le trafic de drogue, avant de mettre la main sur une bonne partie des richesses pétrolières de l'ex-URSS, par leur mise en faillite forcée, quand ce n'était pas par la menace physique de ses milices armées. Cet affréteur, tout comme les Exxon, Total, Shell et autres BP, est protégé par une convention internationale, signée par 85 pays, qui limite la responsabilité des compagnies pétrolières au strict minimum. En effet, suite à la marée noire de l'Amoco Cadiz en 1978, et après 14 ans de procédure, un jugement avait forcé l'affréteur à payer une bonne partie des dégâts provoqués par son pétrole. Depuis, les compagnies pétrolières ont imposé que leur responsabilité soit limitée à des sommes minimes. L'accord international a créé un fonds d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, le Fipol, auquel ces compagnies versent des sommes quasi symboliques. Pour le Prestige, le Fipol n'aurait que 172 millions d'euros disponibles, alors que les frais prévisibles sont au moins cinq fois plus importants.

Autrement dit, les États ont accepté d'organiser l'irresponsabilité des compagnies pétrolières. Voilà qui remet à leur juste place les gesticulations et les déclarations tonitruantes dont nous ont abreuvé ces jours-ci les Chirac et autres Raffarin sur la responsabilité des patrons. C'était de l'esbrouffe. D'un côté, ils font semblant de s'en prendre à des " patrons voyous ", de l'autre, ils signent des accords qui permettent aux principaux pollueurs de tirer leur épingle du jeu et surtout de protéger leurs sacro-saints profits.

Partager