Grande-Bretagne : Le métro londonien dans le tunnel de la privatisation30/01/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/01/une1800.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne : Le métro londonien dans le tunnel de la privatisation

Cela fait plus de trois ans que, malgré le bilan catastrophique de la privatisation du rail effectuée par ses prédécesseurs conservateurs, le gouvernement travailliste de Tony Blair a engagé un processus similaire dans le métro londonien - processus qui, après bien des avatars, devrait être mené à terme dans les prochains mois. Or voilà qu'à la veille de sa conclusion les circonstances entourant un accident survenu le 25 janvier sont venues souligner les dangers de cette privatisation pour la sécurité des usagers.

Ce jour-là, à l'heure où les banlieusards convergent vers les magasins du centre de Londres, une rame bondée déraille sur la ligne " Central " qui traverse Londres d'est en ouest. Les trois wagons de queue sont précipités contre la paroi et un incendie éclate. Par chance, la rame allait s'arrêter en station. Deux agents de quai peuvent ainsi ouvrir les portes manuellement pour évacuer les usagers du train et de la station. Heureusement, car l'ouverture automatique avait été bloquée par le choc et la station était envahie par une fumée menaçante, faute d'aération. Au bilan, on comptera 32 blessés, essentiellement par des débris de verre.

Comme on pouvait s'y attendre, la première réaction des autorités fut de se couvrir, d'abord en parlant d'acte " terroriste ", puis en accusant le conducteur. Jusqu'à ce que l'on apprenne que, six stations auparavant, celui-ci avait signalé au contrôle des vibrations anormales et s'était vu intimer l'ordre de continuer. En fait, on a vite constaté que ces vibrations était dues au desserrement de boulons fixant un bloc moteur sous un wagon. C'est ce bloc qui, en se détachant, a provoqué le déraillement.

Derrière les mensonges des uns et les silences des autres, c'est un véritable scandale qui a fini par se faire jour. On a appris que ce problème de boulons était un défaut connu des 85 rames de la ligne. Mais au lieu d'y remédier une fois pour toutes, ce qui aurait coûté de l'argent, on s'est contenté d'ordonner des inspections plus fréquentes des écrous... tout en continuant à réduire les effectifs chargés de les faire. Dans le même temps, les menaces de sanctions contre les conducteurs signalant des problèmes potentiels sont devenues systématiques. Quant à l'absence d'aération dans les tunnels, qui en fait des pièges à fumée toxique en cas d'incendie, on n'en a plus parlé du jour où la privatisation du métro a pris le pas sur tout le reste.

Car c'est bien de privatisation qu'il s'agit ici et de la restructuration du métro, en septembre 1999, destinée à l'y préparer. Dans un premier temps, les activités " secondaires " (haute tension, génération électrique, informatique, communication, gestion des barrières de tickets, etc.) ont été privatisées. Puis, alors que le métro restait toujours sous contrôle étatique, tout le reste a été subdivisé en quatre " compagnies ", qui toutes devaient désormais dégager des " profits ".

Il y a d'abord une compagnie " opératrice " (qui devrait passer dans un premier temps sous le contrôle de la municipalité de Londres) qui assure le transport des passagers. Celle-ci achète l'usage des rames et des voies aux trois autres, dites " Infracos " (vouées à être privatisées) qui ont chacune plusieurs lignes à charge, dont elles assurent la maintenance (voies, tunnels et matériel). Enfin l'État intervient dans cet édifice en subventionnant les Infracos, pour qu'elles investissent sur leur part du réseau et en se réservant la possibilité d'aider la compagnie " opératrice " à payer ses redevances.

Bien des experts ont accusé ce système d'être trop complexe pour être viable. Mais surtout, tout y est fait pour encourager l'avidité au profit des Infracos, pourvu qu'elles se montrent prêtes à réduire leurs coûts. C'est ce que sont venues illustrer, avant même la privatisation, les économies criminelles qui ont conduit à l'accident du 25 janvier - accident dont les conséquences auraient pu être catastrophiques s'il avait eu lieu à pleine vitesse dans un tunnel.

À ce jour, seule l'une des Infracos a été privatisée, en décembre dernier. Les deux autres devraient l'être d'ici la fin de l'année. Comble de cynisme, parmi les participants du consortium qui prendra en main l'Infraco responsable de la ligne " Central ", figure Adtranz, filiale du groupe canadien Bombardier, qui se trouve être le fabriquant des 85 rames de cette ligne et donc le responsable de leur défaut de conception. Blair prétend que sa privatisation du métro permettra enfin sa rénovation, grâce aux " capitaux neufs " que devrait lui apporter le secteur privé. Mais à qui fera-t-il croire que l'on peut compter sur des requins comme Bombardier-Adtranz pour garantir la sécurité des usagers ?

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