Paris-Jussieu : Une motion universitaire contre la politique d'Israël16/01/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/01/une1798.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

Paris-Jussieu : Une motion universitaire contre la politique d'Israël

Une motion votée par le Conseil d'administration de l'Université Pierre-et- Marie-Curie de Paris 6, celle de Jussieu, fait en ce moment couler beaucoup d'encre et agite de nombreux universitaires et quelques personnages politiques.

Cela fait maintenant un mois, depuis le 16 décembre 2002, qu'a été votée la motion incriminée. Mais il a fallu attendre une manifestation organisée devant le parvis de l'université par diverses organisations, la plupart pro-sionistes, pour que le Conseil d'administration de Paris 6 soit mis à l'index et accusé, dans une récente pétition d'universitaires, de " discrimination ", et de " ségrégation " à l'encontre d'Israël ; de " soutenir unilatéralement une cause politique ", celle des Palestiniens en l'occurrence. Et pour conclure, les auteurs et les signataires de cette pétition s'insurgent que tout un pays soit visé et dénoncent " ces méthodes qui rappellent des temps tragiques ". La motion de Paris 6 doit contenir des propos véritablement destructeurs, des termes durs et définitifs contre Israël, pour mériter une telle levée de boucliers. Eh bien non ! Qu'on en juge plutôt.

" Motion du CA de Paris 6. L'occupation israélienne des territoires de Cisjordanie et de Gaza rend impossible l'activité d'enseignement supérieur et de recherche de nos collègues palestiniens : le renouvellement de l'accord d'association Union Européenne-Israël, en particulier en matière de recherche (6e PCRDT), constituerait un soutien à la politique actuelle de l'État israélien et serait en contradiction avec l'article 2 de cet accord (" les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l'Homme et des principes démocratiques qui inspire leurs politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel du présent accord ").

En conséquence, le Conseil d'administration de l'Université Pierre-et-Marie-Curie :

- se prononce pour le non-renouvellement de l'accord d'association UE-Israël,

- demande à nos collègues enseignants chercheurs, exerçant dans les universités israéliennes, de prendre clairement et rapidement position sur la situation concrète faite aujourd'hui tant à nos collègues enseignants chercheurs des universités palestiniennes qu'à leurs étudiants et étudiantes et de mettre en oeuvre tous les moyens dont ils disposent pour aider les uns à exercer leur métier et les autres à étudier,

- mandate le président de l'université pour nouer des contacts avec les autorités universitaires israéliennes et palestiniennes afin d'oeuvrer dans le sens de la paix et pour qu'il soumette l'ensemble de ces questions à l'assemblée de la conférence des présidents d'université ".

Comme on le voit, il n'y a rien dans cette motion qui puisse justifier un tel flot d'accusations, en particulier pas celle du boycott de l'université israélienne, à moins de se ranger avec armes et bagages dans le camp de Sharon. D'ailleurs, la motion ne fait que s'inscrire dans la droite ligne d'un voeu émis au Parlement européen le 10 avril dernier, et qui lui aussi demandait une suspension de l'accord d'association euro-israélien.

Cet accord d'association avait été signé en 1995, à une époque où l'on parlait beaucoup de paix. D'un côté l'Union Européenne finançait des projets d'infrastructures en Palestine, de l'autre elle accordait à Israël, outre la suppression de droits de douane, la participation à de nombreux programmes de recherche. La vie universitaire palestinienne étant aujourd'hui réduite à néant du fait de l'occupation militaire israélienne, il pourrait sembler naturel et logique que l'accord d'association qui comportait deux volets, l'un palestinien et l'autre israélien, soit remis en cause. Seulement, le naturel et la logique ne semblent pas atteindre les raisonnements sionistes.

S'il faut aujourd'hui parler de boycottage, ce serait plutôt du boycottage d'Israël sur toutes les universités palestiniennes. Les maigres échanges, institués non sans condescendance de la part des Israéliens pendant les années qui suivirent les accords d'Oslo, sont maintenant inexistants : les déplacements d'universitaires palestiniens en Israël sont quasiment impossibles, et les chercheurs israéliens, tout comme leurs compatriotes d'ailleurs, n'ont pas le droit de se rendre dans les Territoires occupés. Le boycottage par Israël des universités palestiniennes (quand ce n'est pas leur destruction) vaut y compris pour l'université Al-Qods de Jérusalem-Est qui, quoique située dans la partie palestinienne de la ville, est interdite aux étudiants venant des Territoires occupés.

Des universitaires israéliens s'élèvent contre la politique menée par leur gouvernement et témoignent, comme cet historien de l'université de Haïfa, Ilan Pappé : " A l'université de Bir Zeit en Cisjordanie, le personnel et les étudiants sont contraints de parcourir, à pied, un long chemin sous la pluie et le vent hivernal. Mais avant de pouvoir emprunter la route qui mène au campus, ils sont à la merci de soldats qui ont la facétieuse habitude de sélectionner certains d'entre eux, au hasard, et de leur demander ce qu'ils " préfèrent " : un coup de pied dans les jambes ou bien une gifle, ou encore la confiscation de leur carte d'identité. Et cela dure souvent des heures. "

Comme un petit nombre de ces collègues universitaires israéliens, Ilan Pappé est partisan de sanctions contre Israël, y compris dans la sphère académique. Une de ses collègues, Tanya Teinhart, malgré les menaces que lui valent ses prises de positions, est elle aussi convaincue qu'il faut aujourd'hui exercer une pression de l'extérieur pour tenter d'infléchir la politique du gouvernement israélien et elle dénonce comme hypocrites tous ceux qui veulent que l'université reste muette sur le conflit israélo-palestinien. Alors, s'il faut être solidaires, c'est d'abord avec ces intellectuels qu'il faut l'être.

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