Profit privé contre intérêts de la collectivité09/01/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/01/une1797.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Profit privé contre intérêts de la collectivité

Chirac a fait mine de s'étrangler d'indignation devant les "hommes d'affaires véreux", ces "voyous des mers", responsables des marées noires, Raffarin s'est fait photographier sur une plage souillée, donnant un coup de pied rageur dans une boulette de fuel. À défaut de prévenir ce genre de catastrophe, à défaut même d'y faire face une fois qu'elle s'est produite, ces gens-là savent se mettre en scène pour dégager leur propre responsabilité et surtout celle du système qu'ils servent.

Mais, derrière les phrases ronflantes et l'agitation médiatique, la population des 200 kilomètres de rivage pollués est abandonnée face aux conséquences de la marée noire qui, après avoir souillé les côtes de Galice en Espagne, est en train de souiller les côtes du sud-ouest de la France. C'est un désastre pour des milliers de femmes et d'hommes qui vivent des ressources de la mer et du littoral et une catastrophe pour la faune et la flore marines. Et de façon durable, d'autant que le navire-poubelle Prestige n'a encore déversé que moins de la moitié de sa cargaison !

Pour faire semblant d'agir, l'État a débloqué une somme dérisoire et a annoncé l'envoi de 200 militaires. Mais, comme l'a fait remarquer le maire du Cap-Ferret, cela ne fera qu'un militaire par kilomètre de plage à nettoyer. Et, à sa protestation sur l'insuffisance des effectifs mis à sa disposition, il s'est vu répondre que l'armée est occupée sur d'autres théâtres d'opérations : la Côte-d'Ivoire, l'Afghanistan et peut-être l'Irak !

Le problème n'est même pas seulement dans l'insuffisance criante des moyens une fois que le mal est fait mais de l'empêcher de se produire. Et trois ans après le naufrage d'un autre navire-poubelle, l'Erika, cela recommence à l'identique. Et tout cela parce que, pour faire un peu plus de profit, ceux qui transportent des marchandises sur mer font appel aux affréteurs ou aux armateurs qui coûtent le moins cher, quitte à ce qu'ils utilisent des bateaux rouillés, amortis depuis longtemps, hors d'état de naviguer par gros temps et avec un personnel mal payé et peu qualifié.

Des " voyous des mers " ? Sûrement. Mais, malgré le système opaque qui protège les transporteurs, des pavillons de complaisance aux sociétés de contrôle bidon, on sait qui les utilise ! L'Erika transportait du pétrole pour TotalFinaElf. Chirac, si porté sur les effets de manche, a-t-il fait traduire en justice son PDG ou son conseil d'administration ? Pourtant le siège de cette société est ici, en France ! Il ne les a même pas contraints à payer intégralement les dégâts directs et indirects que le trust pétrolier a causés. Trois ans après la catastrophe de l'Erika, nombre de victimes attendent encore d'être dédommagées. Pour ces voyous-là, responsables de dégâts à grande échelle, Sarkozy n'exige pas la " tolérance zéro ".

Ces gens-là nous inondent de discours sur la supériorité de l'économie basée sur le profit privé. Mais l'actualité du week-end des 4 et 5 janvier, en faisant coïncider la marée noire avec la prise en otages de dizaines de milliers d'automobilistes sur les autoroutes, vient d'illustrer doublement à quel point les intérêts privés s'opposent à l'intérêt collectif. Qu'une simple chute de neige, tout de même prévisible en janvier, puisse paralyser la circulation, de surcroît sur des autoroutes payantes, sans que les moyens de dégagement nécessaires soient mis en oeuvre, sans même que les usagers soient informés ou que ceux qui ont été bloqués toute la nuit soient aidés, montre que les sociétés privées qui gèrent ces autoroutes ne sont efficaces que pour encaisser les péages. Et si les aéroports eux-mêmes sont démunis devant une situation somme toute banale, c'est que la recherche de rentabilité pousse leurs gestionnaires à faire des économies sur le matériel et sur l'embauche de personnel.

Alors, le rôle des dirigeants politiques est simplement de gérer l'indignation soulevée pour que, pendant qu'ils occupent le devant de la scène avec leur agitation stérile et leurs discours hypocrites, les groupes privés continuent à faire du profit, à enrichir leurs actionnaires, au détriment de la société.

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