Brésil : Comment lutter contre la faim sans lutter contre les capitalistes ?09/01/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/01/une1797.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Brésil : Comment lutter contre la faim sans lutter contre les capitalistes ?

Lors de son discours d'investiture, le 1er janvier à Brasilia, le nouveau président brésilien Lula a répété que sa priorité serait la lutte contre la faim : " Si chaque Brésilien peut chaque jour, à la fin de mon mandat de quatre ans, prendre un petit déjeuner, déjeuner et dîner, j'aurai rempli la mission de ma vie " a-t-il dit. Et le 5 janvier, lors du premier Conseil des ministres de sa présidence, il a mis en avant cette priorité pour justifier le report à l'année prochaine de l'achat de douze chasseurs-bombardiers pour 760 millions de dollars.

C'est un fait que la sous-alimentation est un des fléaux du Brésil. Elle toucherait près d'un tiers des habitants. Lula affiche cette priorité parce qu'il sait la popularité qu'elle peut lui valoir. Dans son programme électoral, le projet " faim zéro " proposait de fournir des coupons alimentaires à 44 millions de pauvres. Le Brésil est pourtant un grand pays agricole. Il occupe le premier rang mondial pour le café, la canne à sucre, les oranges ; le second pour le soja, la banane, le cacao, les bovins ; le troisième pour le maïs et les porcs. Il exporte chaque année plus de 15 milliards de dollars de denrées alimentaires (entre un tiers et un quart de ses exportations). Le quotidien financier Les Echos écrivait récemment qu'en vingt ans la production de céréales, de légumineuses et d'oléagineux y avait doublé et que " l'agroalimentaire sauve le Brésil en temps de crise ".

Mais cette richesse agricole n'est pas orientée en priorité vers l'alimentation de la population. La répartition des terres est extrêmement inégalitaire. 1 % seulement des exploitations couvrent plus de 1000 hectares : elles représentent près de la moitié de la surface cultivée. Par ailleurs 55 % de la surface agricole utile reste inexploitée, accaparée par des grands propriétaires qui jusqu'ici ont réussi à empêcher toute réforme agraire sérieuse, allant jusqu'à envoyer leurs tueurs contre les syndicalistes agricoles et les paysans sans terre qui par centaines de milliers participent à des occupations de terres.

Cette prédominance des grandes propriétés fait que la pauvreté est sans doute encore plus profonde à la campagne qu'en ville. Télés et journaux montrent les favelas, ces bidonvilles souvent contrôlés par la pègre, où les travailleurs pauvres s'entassent par millions jusqu'au coeur des métropoles. Mais il est rare de voir sur les écrans la misère atroce des habitants de l'Amazonie ou des campagnards du Nordeste, victimes de la sécheresse et des " colonels ", c'est-à-dire des grands propriétaires tout-puissants.

Du fait de cette pauvreté, qui touche 54 millions de Brésiliens, un tiers de la population, l'agriculture vivrière reste loin derrière les productions destinées au marché agroalimentaire mondial. Le Brésil exporte la viande, le sucre, le café, les céréales, les huiles qui seraient nécessaires pour nourrir correctement tous les Brésiliens.

Face à cette situation, que va faire Lula ? Il annonce une réforme agraire. Mais à peu près tous les gouvernements qui l'ont précédé depuis un siècle l'ont fait. Et il avertit que cette réforme (à laquelle va présider Miguel Rosseto, un des dirigeants du courant du Parti des Travailleurs qui est lié au Secrétariat Unifié de la IVe Internationale) sera " pacifique et planifiée ", c'est-à-dire qu'elle risque fort de ne pas dépasser les proclamations d'intentions. Car pour imposer une réforme agraire aux latifundiaires, il faudrait mobiliser contre eux tous les travailleurs et leur faire une véritable guerre.

Lula a-t-il davantage de chances de faire disparaître le chômage et la pauvreté ? Cela nécessiterait une lutte de même ampleur contre les patrons et les riches, pour qu'ils paient mieux, qu'ils embauchent, que l'État et toutes les collectivités locales embauchent au lieu de licencier et de privatiser. Cela, Lula ne le fera certainement pas. N'a-t-il pas, en choisissant un vice-président qui est un grand patron du textile et en nommant comme ministres des bourgeois et des hommes de droite, affiché sa volonté de composer avec le patronat qui est tout sauf naïf ?

Le report de l'achat des chasseurs-bombardiers, plutôt qu'une mesure contre la faim, semble un geste en direction des militaires nationalistes et des avionneurs nationaux, qui préféreraient que le gouvernement achète brésilien. En revanche, en nommant à l'Agriculture le président de l'Association brésilienne de l'agroalimentaire, Lula dit aux grands propriétaires que leurs intérêts seront respectés.

Aux riches les faveurs et l'argent, aux pauvres les bonnes paroles : Lula entend bien assurer à la bourgeoisie " l'ordre et le progrès " qui figurent comme devise sur le drapeau brésilien.

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