Allemagne : Le gouvernement SPD-Verts annonce la couleur...de quoi voir rouge !09/01/20032003Journal/medias/journalnumero/images/2003/01/une1797.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Allemagne : Le gouvernement SPD-Verts annonce la couleur...de quoi voir rouge !

Quelques semaines après avoir été reconduite de justesse à l'issue des élections législatives du 22 septembre, la coalition formée par le Parti Social-Démocrate (SPD) et les Verts a commencé à annoncer les premières mesures de la nouvelle législature.

Pendant toute la campagne, pour ne pas trop perdre de voix dans l'électorat populaire, le SPD avait mis en avant le " bon bilan " de son gouvernement et répété qu'il ne participerait pas à une guerre contre l'Irak. Mais aujourd'hui, c'est un tout autre son de cloche qu'on peut entendre. Que ce soit dans le contrat de coalition passé entre le SPD et les Verts, dans le discours de politique générale tenu par le chancelier Gerhard Schröder devant le Bundestag ou dans les premières lois en discussion au Parlement, le gouvernement a commencé à revenir sur toutes ses promesses de la campagne électorale : pas d'augmentation d'impôts, pas d'augmentation de l'assurance-maladie, etc.

Concernant une intervention militaire contre l'Irak, la Bundeswehr est déjà engagée, de bien des manières, dans le soutien actif aux troupes américaines présentes autour du golfe Persique. Par exemple des avions Awacs, pilotés par des aviateurs allemands, aident l'armée américaine à surveiller l'Irak. L'armée allemande ne tirera peut-être pas un coup de fusil, elle se contentera de passer les cartouches aux troupes US !

Sur le plan intérieur, après avoir, des mois durant, assuré que l'économie allait se redresser, les partis au pouvoir ont soudain découvert que la conjoncture économique était très mauvaise, le déficit budgétaire plus important que prévu (on dit maintenant qu'il pourrait atteindre les 3,8 %, bien au-dessus de la barre des 3 % fixée au niveau européen). Par ailleurs le chômage a encore augmenté pour atteindre, fin décembre, 4,22 millions de chômeurs officiels (10 % de la population active). En un an on recense 260 000 chômeurs supplémentaires. Et de nombreuses grandes villes comme Berlin ou Munich sont pratiquement en situation de faillite. Alors il va falloir se serrer la ceinture. Mais, bien sûr, ce sera essentiellement aux salariés de payer la note.

De nombreuses augmentations sont à l'ordre du jour en ce début 2003 : nouvelle hausse de l'écotaxe (cet impôt-racket instauré en 1998 à la demande des Verts, sous prétexte d'écologie, sur toutes les formes d'énergie : essence, gaz, électricité), suppression de nombreux avantages fiscaux. Les cotisations vieillesse augmentent de 19,1 à 19,5 % - et on parle d'un recul de l'âge de la retraite, de 65 ans aujourd'hui à 67 voire 70 ans ! Et les cotisations d'assurance-maladie vont passer de 14 à 14, 4 % en moyenne (le taux est différent selon chaque caisse). Ce qui n'empêchera pas de réduire les remboursements médicaux.

Le patronat veut baisser les salaires

Par ailleurs, toute une partie des propositions de la commission Hartz, qui proposait de déréglementer en profondeur le marché du travail, ont été traduites dans deux " lois pour des services modernes dans le marché du travail ". Loin de s'attaquer au chômage, elles visent à s'en prendre aux droits des chômeurs, et à leur faire accepter n'importe quel travail, même le plus mal payé. Ainsi un chômeur avec enfants verrait son allocation baisser de 67 % à 60 % de son ancien salaire. Et les allocations versées à quelque 1,3 million de chômeurs de longue durée devraient être, à terme, supprimées.

Bien d'autres mesures ont été prises pour fournir au patronat une main-d'oeuvre à bon marché. La limite des " petits boulots " exemptés de charges sociales va être portée de 325 à 400 euros. Et entre 401 et 800 euros, il est créé une zone de bas salaires, pour lesquels l'assujettissement aux charges sociales ne sera que progressif.

Le gouvernement a également favorisé une extension du travail intérimaire ou temporaire : il n'y aura à l'avenir plus aucune limitation de durée. Pour sauver les apparences, il est prévu que les salariés concernés doivent recevoir les mêmes salaires que leurs collègues en CDI. Mais des accords d'entreprise peuvent déroger à cette règle. Ce qui revient à réduire à néant ce principe " à travail égal, salaire égal ". Par exemple, un accord existe déjà entre Adecco et le syndicat IG Metall, pour embaucher les intérimaires dans la métallurgie... à 30 % en-dessous du tarif. Dans la chimie, un autre accord permet, lui, d'embaucher les chômeurs de longue durée 10 % au-dessous du salaire fixé par la convention collective. Et sous la pression du patronat, ce genre de disposition est en train de se généraliser dans de nombreux secteurs.

Bien sûr toutes ces attaques venant d'un gouvernement qui se dit de " gauche " suscitent un profond mécontentement. Les sondages d'opinion indiquent une perte de popularité vertigineuse de la coalition au pouvoir. Cela pourrait se traduire par des revers électoraux importants lors des élections régionales qui auront lieu en février 2003 en Basse-Saxe et en Hesse (les régions de Hanovre et de Francfort-sur-le-Main). Le grand parti de la droite, la CDU, qui espère remporter ces élections, ne se gêne pas pour accuser le SPD de " mensonge électoral ". Il est vrai que, dans ce domaine, la CDU en connaît un rayon : en son temps Helmut Kohl avait promis à la population de l'ex-RDA des " paysages florissants "... et il a transformé l'est de l'Allemagne en une région socialement sinistrée.

Pauvreté en hausse

Mais certains politiciens sociaux-démocrates ne veulent pas porter le chapeau au cas où le mécontentement actuel s'approfondirait. On a ainsi pu entendre, il y a quelques semaines, Franz Müntefering, chef du groupe parlementaire du SPD au Bundestag, déclarer que les ménages allaient devoir diminuer leur consommation privée. Trois jours plus tard, Sigmar Gabriel, ministre président SPD de Basse-Saxe, s'adressait aux travailleurs du secteur public qui manifestaient pour une augmentation d'au moins 3 % de leur salaire... pour leur dire qu'il était normal d'augmenter les bas revenus.

Si cette cacophonie traduit l'embarras du SPD, il est certain que dans la période à venir le monde du travail sera confronté à des attaques redoublées. Déjà une nouvelle série de licenciements a été annoncée, chez Siemens et à Babcok-Borsig. De son côté, la Poste veut fermer 2 000 de ses filiales... au moment même où la presse fait état de son intention de racheter la Poste autrichienne. Quant au nouveau patron de Deutsche Telekom, Kai-Uwe Ricke, il entend supprimer près de 22 000 emplois d'ici 2004, afin d'éponger les 25 milliards d'euros de pertes laissées par son prédécesseur.

Toutes ces attaques contre l'emploi et pour baisser les salaires contribuent à un développement de la pauvreté sans précédent depuis longtemps en Allemagne. Selon un rapport officiel publié en 2001 (et portant sur des chiffres de 1998, mais la situation en s'est guère améliorée depuis), 8 millions de foyers disposeraient, pour vivre, de moins de 50 % du revenu moyen mensuel, soit 1 350 euros. À Berlin un enfant sur quatre vivrait dans la pauvreté. Un reportage présenté fin novembre sur la chaîne de télévision ZDF montrait des élèves n'ayant acccès qu'à un seul repas chaud par jour... dans le quartier berlinois de Hellersdorf. Un centre d'accueil animé par un pasteur leur procure gratuitement 150 repas tous les jours mais ne peut faire face à la demande. Cette soupe populaire est située... à deux cents mètres d'une cantine scolaire fermée depuis des années pour cause d'économies.

Face à cette situation la classe ouvrière n'est pas sans réaction. Au cours des dernières semaines ont eu lieu des protestations du personnel de santé, d'employés de la Poste contre des fermetures de filiales, de travailleurs municipaux contre des suppressions de services à Dresde. Dans quelques usines des grèves ont eu lieu, en dehors du cadre contractuel traditionnel. Et des débrayages se sont multipliés dans les services publics, à l'occasion des négociations salariales dans ce secteur. Mais en Allemagne, comme en France, c'est une réaction d'ensemble du monde du travail contre le patronat et ses serviteurs, qu'ils soient sociaux-démocrates ou ouvertement de droite, qu'il faut mettre à l'ordre du jour.

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