Routiers : Vers les pavillons de complaisance sur les camions ?29/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1791.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Routiers : Vers les pavillons de complaisance sur les camions ?

A l'occasion du conflit des routiers, certains syndicats patronaux ont rappelé leur menace de délocalisation vers les pays d'Europe de l'Est. L'occasion leur en serait fournie par l'ouverture prévue de l'Union européenne à dix nouveaux États en 2004.

A vrai dire, certains transporteurs allemands, néerlandais et britanniques principalement, n'ont pas attendu cette ouverture pour délocaliser leurs entreprises à l'Est, comme le célèbre Willi Betz, transporteur allemand, qui s'est taillé un empire en exploitant la main-d'oeuvre sous-payée des pays de l'Europe de l'Est.

Selon La Tribune, " un employeur payera un conducteur bulgare 1 753 euros par mois, toutes charges et frais de déplacement compris, contre 3 810 euros pour un chauffeur français ". Et même employer des conducteurs allemands ou hollandais serait plus avantageux - de 20 % - car, selon un syndicat patronal, " ces derniers gagnent tout autant mais coûtent moins cher car ils travaillent davantage et les charges sont moins élevées ".

Comme dans l'ensemble de l'économie, le patronat du transport cherche à délocaliser là où la main-d'oeuvre - ainsi que les impôts - sont les moins chers. Bien sûr, des camions polonais ou hongrois, appartenant en réalité à des sociétés allemandes, hollandaises, françaises ou autres, et naviguant ainsi sous nationalité de complaisance, sont soumis lorsqu'ils roulent en France à la réglementation française sur le temps de conduite ainsi qu'au code de la route. Même si cette réglementation n'est pas toujours respectée, elle est tout de même plus contraignante que celle de certains pays comme l'Espagne ou même les Pays-Bas où les heures supplémentaires autorisées sont légion, sans parler de pays comme la Pologne où bien des routiers font des journées de 10 et même 14 heures !

Seulement, si les camions sont immatriculés en Pologne ou en Hongrie, par exemple, ils relèvent de la législation sociale et des salaires de ces pays. Et lorsqu'ils font du transport international, hors de France, ils doivent se contenter de respecter les règles de conduite des pays traversés. Donc il ne faudra pas s'étonner si au fil des années on voit en Europe occidentale de plus en plus de camions est-européens, exactement comme sur les océans on voit des navires des Bahamas ou du Liberia.

L'Union européenne, qui se targue d'harmoniser les lois, les règlements, les conditions de travail, etc., pourrait si elle le voulait imposer une législation préservant des conditions de travail correctes, qui ne mettraient en danger ni la santé ni la vie des routiers et... des autres usagers de la route.

En fait l'Union européenne semble s'orienter vers une semaine légale de 74 heures de conduite par semaine (plus les temps d'attente, de chargement, etc. !). Ce choix ahurissant malheureusement n'aurait rien d'étonnant. C'est l'ensemble du patronat, gros industriels, grande distribution, etc., c'est-à-dire les " donneurs d'ordres ", qui bénéficie des tarifs avantageux du transport routier. Cela lui permet tout à la fois des transports à très bon marché et des économies de stockage, car les centaines de milliers de camions constituent autant d'entrepôts à roulettes. Tout ce monde fait pression, en donnant la préférence aux moins chers, sur les transporteurs routiers, et ces derniers font pression sur leurs salariés pour obtenir le maximum de travail dans le temps le plus court. Ajoutons que si le transport routier est tellement avantageux, c'est aussi parce que c'est la collectivité qui finance, pour l'essentiel, les autoroutes, alors que, dans le cas des chemins de fer, la SNCF par exemple (aujourd'hui par le biais de RFF) doit financer non seulement le matériel roulant mais aussi les voies ferrées.

C'est ainsi que, pour plaire au grand patronat dans son ensemble, l'Union européenne et les États nationaux organisent de concert ce scandale permanent du transport routier. Et tout en acceptant de maintenir des horaires souvent déments, de tolérer des vitesses excessives (il faut bien que les livraisons arrivent aux dates prévues, même si c'est acrobatique !), les responsables de l'Union européenne ont le front de plaider pour la sécurité routière... qu'ils sacrifient délibérément.

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