La grève, pour tous29/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1791.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

26 novembre

La grève, pour tous

C'est au nom de la défense de l'intérêt général, de la défense de l'ordre public et de la liberté que le duo Raffarin-Sarkozy s'en prend à ceux qui tentent de se faire entendre par la grève et des manifestations.

Dernière cible, les routiers, accusés d'empêcher les autres de circuler en organisant des barrages. Et certains, y compris dans les milieux populaires, reprennent ces arguments. On entend même dire que les routiers n'auraient qu'à manifester contre leurs patrons, sur leur lieu de travail. Sauf que leur lieu de travail, c'est justement la route. Sauf aussi qu'en revendiquant de meilleures conditions de travail, des horaires raisonnables, ils agissent aussi pour la sécurité de tous. Sauf encore qu'ils interpellent non seulement leurs patrons, mais aussi le gouvernement pour qu'il impose à l'ensemble de leurs patrons une réglementation plus rigoureuse, à commencer par le respect de la réglementation existante.

Leur enlever le droit de se montrer serait leur enlever toute possibilité de se faire entendre. Alors, ne faudrait-il pas dialoguer, demandent certains, qui se gardent bien de citer des cas ou un tel dialogue aurait fonctionné dans l'intérêt des deux parties. Mais dans les rapports entre salariés et patrons, les interlocuteurs ne sont pas à égalité. Les patrons disent, ils ne s'en privent pas : " C'est à prendre ou à laisser, sinon c'est la porte ". Pourquoi les salariés ne pourraient-ils pas, eux aussi, user du fait que les patrons ont besoin de leur travail pour obtenir des améliorations à leur sort ?

Mais les grèves lèsent des gens qui " n'y sont pour rien ", les usagers, qui sont aussi bien souvent des salariés, entend-on dire. C'est vrai. Mais il ne faudrait pas oublier qu'une grève touche en premier lieu les grévistes eux-mêmes, qui font le choix de perdre une fraction, parfois importante, de leur salaire pour qu'on les entende. Y compris dans la fonction publique et assimilée, où l'on retient les jours de grève, contrairement à une légende délibérément cultivée. Ce n'est donc jamais de gaîté de coeur, ni pour un oui ou un non, que les salariés font grève.

Alors, plutôt que de montrer du doigt les grévistes, mieux vaudrait s'en prendre à ceux qui ont poussé des salariés à faire le choix de la grève. Et dire que ce serait les syndicats qui en décideraient est une absurdité méprisante, qui supposerait que les syndicats disposent d'un pouvoir qu'ils n'ont pas, et que ceux qui se mettent en grève seraient des moutons sans cervelle.

Et puis, voit-on les gens qui critiquent les grévistes s'insurger de la même façon lorsque, en licenciant des milliers de travailleurs, des patrons font le choix d'appauvrir toute une région ? Pourtant dans ce cas, il y a bien plus encore de gens qui en pâtissent, pendant bien plus longtemps, et qui n'y sont, eux non plus, pour rien. D'abord les proches des licenciés, mais aussi les commerçants et autres catégories qui perdent parfois d'un coup leur clientèle

Sarkozy ne perd pas une occasion de se présenter comme le rempart de la liberté de tous. C'est à ce titre qu'il a envoyé les gendarmes contre les barrages que les routiers s'apprêtaient à organiser, qu'il les a menacés de leur retirer leur permis de conduire, c'est-à-dire de les priver de leur travail, qu'il a fait interpeller sept syndicalistes routiers : décidément, après la condamnation de José Bové, celle d'un militant CGT de Cherbourg, on banalise un peu plus les mesures judiciaires et policières contre les syndicalistes. Mais où l'a-t-on vu, lui ou ses prédécesseurs, demander que l'on intervienne contre des patrons qui ne respectent pas le droit du travail, qui sont, au su et au vu de tous, en permanence hors les lois, sans parler de ceux qui, comme le Pdg de TotalFinaElf, ont provoqué la mort de travailleurs et la destruction d'une partie de Toulouse, peu après avoir été responsable de la pollution de la côte atlantique ? Et pourtant, là aussi, cela créait une gêne certaine à beaucoup de gens qui " n'y étaient pour rien ".

Ne nous y trompons pas, ce n'est pas la liberté de tous que défend le gouvernement, c'est la liberté des Desmarest et de leurs semblables de s'en prendre à la liberté de la population laborieuse.

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