Sommet Union européenne - Russie - La guerre des uns en Tchétchénie, celle des autres qui se prépare contre l'Irak...15/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1789.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Sommet Union européenne - Russie - La guerre des uns en Tchétchénie, celle des autres qui se prépare contre l'Irak...

Rendant compte du sommet Union européenne-Russie qui s'est tenu le 11 novembre à Bruxelles, Le Figaro du lendemain écrit : « Le sommet lui-même, à en croire plusieurs participants, ne s'est pas vraiment appesanti sur la situation à Grozny », capitale d'une Tchétchénie où fait rage la nouvelle guerre que le Kremlin y a déclenchée fin 1999.

Cette guerre a, déjà, plus duré et fait plus de morts que la précédente, celle de 1994-1996 qu'avait perdue le prédécesseur de Poutine, Eltsine. Elle est sur le point de dépasser, en nombre de soldats tués sans parler des victimes civiles, celle menée par le Kremlin de 1979 à 1989, et elle aussi perdue, en Afghanistan. Mais il en faudrait plus pour que de chefs d'État et de gouvernement réunis à Bruxelles « s'appesantissent » sur de tels « détails ». Alors, sur la photo illustrant l'article cité, tout sourire, ils se congratulent : Romano Prodi, le président de la Commission européenne ; Javier Solana, ex-secrétaire général de l'OTAN et actuel responsable de la Défense des Quinze ; Anders Rasmussen, le Premier ministre d'un Danemark qui exerce en ce moment la présidence tournante des Quinze. Poutine sourit aussi, autant qu'il le peut, et il a de quoi. À sa demande, le Danemark a arrêté l'émissaire du président indépendantiste tchétchène qui se trouvait officiellement au Danemark pour une conférence sur la Tchétchénie et qui venait, pourtant, d'y dénoncer les auteurs de la sanglante prise d'otages de Moscou, fin octobre. Mais le Danemark et derrière lui les autres membres de l'Union européenne, dont aucun n'a protesté, n'allaient pas refuser cela à Poutine sous prétexte qu'il martyrise le peuple tchétchène depuis plus de trois ans. D'ailleurs, les États prétendument civilisés d'Europe ou d'Amérique ont-ils jamais refusé quoi que ce soit à Poutine sur ce terrain infâme ?

Depuis des années, les rapports, les témoignages sur la Tchétchénie s'accumulent qui dressent la liste - massacres, tortures, viols, villages incendiés, populations déportées et rançonnées - des exactions commises par la soldatesque russe sans que l'Union européenne s'en émeuve. Car la seule et unique fois où elle a fait mine de froncer les sourcils en privant de son droit de vote, pour six mois, la délégation russe à un Conseil de l'Europe qui n'a strictement aucun rôle autre que décoratif, cela n'avait rien qui puisse faire reculer un Poutine.

Les dirigeants de l'Union européenne ont accueilli Poutine juste après qu'il avait remporté son bras de fer avec les preneurs d'otages de Moscou, une victoire obtenue dans un bain de sang mêlant celui des terroristes et celui de plus de 120 de leurs otages, alors que son ministre de la Défense venait de lancer une « offensive dure et de grande envergure » en Tchétchénie - comme si, avant, l'armée y faisait dans la douceur - et qu'ailleurs en Russie sa police intensifie les rafles au faciès contre les Tchétchènes, dont la plupart sont des réfugiés vivant hors de leur république. Il en aurait fallu bien plus pour troubler ce sommet. Et c'est une farce sinistre que d'y avoir entendu les dirigeants européens demander poliment à Poutine de rechercher une « solution politique au conflit », tout en sachant qu'il n'envisage d'autre « solution » que militaire et qu'eux-mêmes n'ont nulle intention de s'y opposer. Poutine, qui le sait aussi bien que tous ces distingués hypocrites, ne s'est donc pas privé de parader en répétant qu'il livre une guerre au « terrorisme international », à des « bandits », des « terroristes internationaux » qui voudraient « créer un Califat » dans le Caucase. Et même, a-t-il ajouté, « un Califat mondial ».

Plus le mensonge est gros, plus les menteurs professionnels ont des chances d'apprécier. Et Poutine aurait eu tort de se gêner en compagnie de pareils connaisseurs. Ce ne sont pas ses fables grossières qui pourraient les faire s'étrangler, eux qui recourent depuis des mois au même dernier mensonge à la mode que lui - celui de la prétendue lutte contre le terrorisme international.

À Bruxelles, il devait être aussi discuté de la région de Kaliningrad, un petit territoire russe situé au bord de la Baltique entre Pologne et Lituanie, que l'éclatement de l'URSS a coupé du reste de la Russie. Une coupure qui s'approfondira en 2004 avec l'extension de l'Union européenne à des pays de l'Est, dont la Pologne et la Lituanie. Kaliningrad se verra alors enclavée dans l'Union européenne et Poutine réclamait la plus grande liberté de circulation entre la Russie et Kaliningrad. Il ne l'a pas obtenue. L'Europe n'a cédé que des visas à entrées multiples qui faciliteront sans doute les déplacements des privilégiés et des trafiquants de Russie, sans que le reste de ses habitants y gagnent quoi que ce soit. Mais qui s'en soucie ?

Alors, Poutine est reparti en se déclarant « satisfait », vu le silence complice fait sur sa guerre de Tchétchénie. Quant aux dirigeants des Quinze, eux aussi, avaient de quoi se montrer satisfaits d'un Poutine qui fait chorus avec eux sur le terrain de la « lutte contre le terrorisme international ».

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