Brésil : Le Parti des Travailleurs, radical au départ, mais toujours réformiste.08/11/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/11/une1788.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Brésil : Le Parti des Travailleurs, radical au départ, mais toujours réformiste.

Le Parti des Travailleurs (PT) brésilien a une réputation de parti radical, dont les militants animent des luttes et des grèves. Il incarne les espoirs des travailleurs, des paysans sans terre, des victimes du système. Or son candidat, Lula, a été élu président par 61 % des électeurs, sur la base d'une politique qui résulte de marchandages politiciens, et de concessions majeures aux milieux d'affaires. Il est passé d'une cinquantaine à 91 députés au Parlement fédéral. Il gère depuis plusieurs années près de 200 villes, dont la plus grande du pays, Sao Paulo, qui compte plus de 10 millions d'habitants.

Alors, la révolution brésilienne a-t-elle commencé, comme certains le concluent déjà ? En réalité, le PT est loin d'être ce parti du changement radical que vante une partie de la gauche et de l'extrême gauche.

Un parti né au cours de luttes ouvrières...

Le PT a été créé en février 1980. Ses fondateurs se recrutaient parmi les adeptes de la " théologie de la libération " liés à l'Eglise catholique, les intellectuels d'orientation sociale-démocrate et les militants d'extrême gauche, trotskystes, maoïstes ou guévaristes. Ils avaient l'ambition, disaient-ils, de créer un outil politique permettant de relayer les revendications des nouvelles directions syndicales qui allaient bientôt se regrouper dans la CUT, Centrale unique des travailleurs.

Les années 1970 avaient vu un développement économique sans précédent, le " miracle brésilien " avec ses taux de croissance de 10 à 15 % par an. Une nouvelle classe ouvrière était née. Les paysans fuyant le Nordeste ravagé par la sécheresse affluaient dans le Sud-Est où des centaines de milliers d'emplois étaient offerts dans les usines automobiles des banlieues de Sao Paulo, les complexes sidérurgiques du Minas Gerais, la chimie et la pétrochimie de Rio.

Cette classe ouvrière dans sa majorité était neuve, catholique et apolitique. Elle submergea l'ancien prolétariat des villes, éparpillé dans le commerce et l'artisanat ou localisé dans les industries textiles et agro-alimentaires, mais aussi éduqué par des générations de militants anarcho-syndicalistes puis communistes. La dictature militaire instaurée en 1964 avait détruit ses syndicats et mis en place un syndicat officiel, appendice de l'appareil d'État. Le PC officiel (PCB) s'était effondré, surpris par le coup d'État et sans réaction. Sa dissidence maoïste (PCdoB) et les petits groupes prônant la lutte armée avaient été impitoyablement éliminés par la répression.

A la fin des années 1970, cette classe ouvrière jeune et concentrée était entrée en lutte pour les salaires et les conditions de vie. Dans les grandes grèves de 1978 et 1979, de nouveaux dirigeants ouvriers s'affirmaient, parmi lesquels Lula. Petit à petit ils remplaçaient, à la tête des syndicats, les bureaucrates corrompus et inféodés à la dictature.

Ces syndicalistes " authentiques ", comme on les appelait, se défiaient à juste titre des partis politiques existants. Le parti d'opposition MDB, à côté de quelques députés liés à la classe ouvrière et venant en général des PC illégaux, comprenait nombre de latifundiaires, banquiers et affairistes. Ces politiciens étaient généralement des caciques faisant la loi dans leur ville ou leur région.

Le nouveau parti créé en 1980, le Parti des Travailleurs, s'affirmait résolument en faveur de la démocratie (le pouvoir civil ne fut rétabli qu'en janvier 1985), et partisan de l'indépendance syndicale vis-à-vis de l'État.

...mais absolument pas révolutionnaire

Malgré le verbiage socialisant de ses premiers textes programmatiques, rédigés par des militants qui se revendiquaient des théories révolutionnaires en vogue, le Parti des Travailleurs ne s'est jamais dit socialiste ou encore moins communiste. Il n'a donc pas trahi des principes qui n'ont jamais été les siens.

Par ailleurs, lorsque la presse le crédite de 300 000 ou 500 000 militants, c'est pure fantaisie. Car le PT n'a jamais eu ni cartes, ni cotisations, ni cellules, ni presse régulière, même mensuelle. Il a attendu dix ans pour réunir son premier congrès, en juin 1990, et le second ne s'est tenu qu'en novembre 1999.

Sa direction comprend peu d'ouvriers : Lula est à peu près le seul. Les ouvriers se trouvent dans les postes syndicaux. La plupart des dirigeants nationaux sont des intellectuels : José Dirceu, le président du parti, est un ancien dirigeant étudiant ; José Genoino, ex-leader étudiant lui aussi, a été lié à la guérilla au début des années 1970 ; Mercadante est un universitaire ; Marta Supplicy, actuelle maire de Sao Paulo, est une psychanalyste qui s'est fait connaître comme sexologue à la télévision. Quant à son ex-mari, le sénateur Supplicy, il appartient à la grande famille bourgeoise des Matarazzo qui a fait fortune depuis un siècle dans l'agro-alimentaire. Il y a aussi nombre de sociologues et d'économistes.

Le PT fonctionne surtout dans la perspective des élections. Ses réunions de base visent essentiellement à choisir les candidats aux postes électoraux. Les réunions larges des directions à l'échelle du pays, les " encontros ", ont surtout pour but d'adopter les tactiques et les alliances électorales. Le PT, c'est l'appareil, et en premier lieu les élus.

Car dès les premiers succès électoraux, l'influence a été exercée par les députés, maires, gouverneurs et sénateurs du parti, relayée par les nombreux fonctionnaires qu'ils étaient en situation d'employer. Cet appareil de permanents vit de gestion et n'entend pas être contrôlé, pas même par le parti lui-même. Lorsqu'il y a conflit, l'élu menace de sortir du parti. C'est un chantage qu'il ne se prive pas d'exercer, et la direction nationale y est en général très sensible, car ce sont des postes, des voix, des fonds qui sont en cause. Et plus la vague de mobilisations populaires qui accompagna la fin de la dictature reflua, moins il y eut de militants pour relayer sur le terrain les campagnes du PT, et plus le poids de l'appareil et de la bureaucratie professionnelle s'accrut.

Les conflits opposant des dirigeants du PT à certaines catégories de travailleurs ne sont pas rares. Ainsi dans l'État du Rio Grande do Sul, l'an passé, une grève longue des enseignants a été réprimée par le gouverneur PT de l'État, qui n'a pas hésité à faire donner la police contre les grévistes. Cela a dû jouer dernièrement pour faire perdre au PT cet État, qu'il dirigeait depuis de nombreuses années.

En revanche, quand il s'agit de respecter les règles de la démocratie bourgeoise, le PT répond présent. Après les énormes manifestations des " directes " en faveur de l'élection du président au suffrage universel, en 1984, il avait longuement hésité à participer au collège électoral restreint qui a élu Tancredo Neves, pour finalement s'en abstenir. Mais il refusa, malgré les manifestations de rue, de réclamer en 1992 le départ du président Collor, convaincu de prévarications. Et quand celui-ci eut démissionné de lui-même, le PT veilla à ce que la succession se déroule normalement.

Le PT a, au fil du temps, de plus en plus adouci son langage, modéré son programme, élargi vers la droite ses alliances. C'est ainsi qu'il est devenu convenable aux yeux de la bourgeoisie, brésilienne et internationale. Lula, son chef, y a gagné un poste de président. Certains de ses dirigeants vont sans doute devenir ministres, secrétaires d'État, ambassadeurs... Ce n'est que la confirmation de ce qu'était le PT, depuis ses origines.

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