Grande-Bretagne - Mesures contre les immigrés : L'État, trafiquant de main-d'oeuvre11/10/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/10/une1784.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Grande-Bretagne - Mesures contre les immigrés : L'État, trafiquant de main-d'oeuvre

Sarkozy vient de se " féliciter " des mesures contre l'immigration annoncées le 7 octobre par son homogue britannique, le travailliste David Blunkett - mesures présentées par la presse anglaise comme une " contre-partie " à la fermeture du centre de réfugiés de Sangatte. Au vu de ces mesures, on comprend la satisfaction de la droite française pour la politique des travaillistes anglais.

Juridiquement, il n'y a que trois façons pour un immigrant d'obtenir un statut légal en Grande-Bretagne : être reconnu comme réfugié politique, être autorisé à rejoindre un conjoint ayant un statut légal (mais cela n'a rien d'automatique) ou encore... avoir un portefeuille bien garni. Car dans ce cas, obtenir indéfiniment la prolongation d'un visa de visiteur, et finalement la citoyenneté, ne pose en général aucun problème.

Jusqu'à présent, en dehors des plus fortunés, la plupart des immigrés devaient rentrer dans le pays de façon illégale, car dans les pays pauvres, y compris ceux du Commonwealth, les consulats anglais ne délivrent de visas, même touristiques, qu'aux demandeurs les plus riches ou ayant des relations dans les milieux d'affaires. D'où l'affluence des candidats immigrants non seulement à Sangatte, mais dans bien des ports du Commonwealth ayant des liaisons régulières avec l'Angleterre.

Une fois entrés en Angleterre, les immigrés faisaient une demande d'asile politique. Puis, de refus en appels et grâce à la lenteur de la bureaucratie, ils pouvaient espérer tenir assez longtemps pour avoir une situation " respectable " et pouvoir postuler à la citoyenneté avec des chances de succès. La plupart échouaient, bien sûr. Beaucoup étaient expulsés de façon brutale, après des détentions parfois longues - d'autant qu'en l'absence d'avocats, les services de l'immigration avaient tôt fait d'ignorer leurs droits. D'autres, minoritaires, parvenaient à éviter l'expulsion mais au prix d'une vie semi-clandestine, favorisée par l'absence de tout système de papiers d'identité, et sans espoir de régularisation.

C'est ce créneau limité, dont bénéficiaient tout au plus entre 10 et 15 000 immigrants chaque année, que le gouvernement britannique veut fermer. Désormais, seuls les immigrants pénétrant sur le territoire britannique de façon légale, c'est-à-dire via un poste de contrôle d'immigration et avec un visa en main, pourront demander le statut de réfugié politique, et encore à la condition expresse que la demande soit faite lors de leur entrée sur le territoire. Les immigrants sans visa, c'est-à-dire en gros les plus pauvres ou les plus menacés, seront donc exclus et contraints à la clandestinité sans espoir de régularisation, et condamnés à l'expulsion automatique s'ils sont pris.

Les demandeurs d'asile dont la demande est refusée bénéficieront toujours d'un droit d'appel (Blunkett avait provoqué une tempête d'indignation en essayant de le leur retirer). Mais ceux venant de pays prétendument " sûrs " figurant sur une " liste blanche ", liste qui inclut pour le moment les dix pays candidats à l'Union Européenne, devront faire appel... auprès du consulat britannique de leur pays d'origine (et donc y retourner). Cette mesure vise en particulier les réfugiés politiques turcs (très nombreux en Grande-Bretagne) et surtout les Roms des pays d'Europe centrale, à qui le statut de réfugié est systématiquement refusé. Enfin, une politique de ségrégation stricte sera appliquée contre les demandeurs d'asile, pour les isoler et les empêcher de se lier à la population, ce qui s'est révélé gênant en cas d'expulsion.

Le plus choquant dans tout cela est le cynisme de Blunkett, quand il ose prétendre que ces mesures visent à " empêcher l'extrême droite d'alimenter les préjugés racistes ". Il y a quelques mois, à la veille des municipales, Blunkett clamait qu'il ne fallait pas laisser les écoles primaires être " envahies " par les enfants de demandeurs d'asile, et que pour cette raison il fallait les enfermer, eux et leurs familles, dans des centres prévus à cet effet. Si ce n'est pas là " alimenter les préjugés racistes ", pour des raisons purement politiciennes, en agitant le spectre d'une prétendue menace devant l'électorat, on se demande ce que c'est !

Mais Blunkett finit par montrer son véritable objectif avec les trois systèmes d'immigration " légale " prévus par ses mesures. L'un, portant sur un nombre très faible, fixé en fonction des besoins, inclura des réfugiés politiques patronnés par l'ONU, sélectionnés suivant les qualifications manquant en Grande-Bretagne (médecins, ingénieurs, etc.). Les deux autres systèmes seront destinés à faire venir une main-d'oeuvre saisonnière à bon marché, privée de tous droits, recrutée dans les pays pauvres pour répondre aux besoins du patronat de l'hôtellerie et de la restauration d'une part, de l'agro-alimentaire de l'autre - chose qui se faisait jusqu'à présent de façon illégale, ou semi-légale, sous couvert de " séjours linguistiques " pour étudiants d'Europe de l'Est en particulier.

Les vieilles traditions libérales britanniques ont toujours servi à couvrir un trafic plus ou moins clandestin de main-d'oeuvre immigrée, que l'État mettait à la disposition du patronat. Aujourd'hui, les travaillistes sont en train de démanteler ce qui restait de traditions libérales, pour ne conserver à l'État que le rôle de trafiquant d'une main-d'oeuvre corvéable à merci au profit du capital.

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