Un " ciel unique "... pour en faire pleuvoir des profits06/09/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/09/une1779.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Un " ciel unique "... pour en faire pleuvoir des profits

Pour sa première session de septembre, le Parlement européen affichait plusieurs rapports ayant trait à un projet dit de " Ciel unique européen ".

Que le ciel soit unique, en Europe ou ailleurs, c'est une évidence physique. Quant à vouloir y faire disparaître les obstacles (administratifs, étatiques) qui s'y dressent encore, cela devrait aller de soi. Mais quand les autorités européennes emploient cette expression, et quels que soient les prétextes ou prétentions à " harmoniser le ciel " dont elles l'entourent, elles ont tout autre chose en vue. Depuis des années qu'elles en parlent, elles ont d'ailleurs largement annoncé la couleur. Il s'agit de doper les bénéfices des compagnies aériennes en les aidant à réduire leurs coûts, dont les redevances qu'elles acquittent aux services de navigation aérienne. Celles-ci représentant de 5 à 10 % du prix d'un billet, cela met les compagnies aériennes en appétit...

Comme, jusqu'à une date récente, ces services de navigation se trouvaient un peu partout en Europe sous tutelle des États, ces derniers ont commencé, ici ou là, à les faire passer sous statut privé (en Allemagne), voire à les privatiser. La Commission européenne a ainsi donné son accord au fait qu'en Grande-Bretagne un consortium de compagnies acquierre la moitié du capital du NATS, l'organisme gérant le contrôle aérien. Résultat : des restrictions à l'embauche et à la formation du personnel, des dépenses de fonctionnement réduites et des investissements (très lourds en ce domaine) revus à la baisse par les actionnaires. Les syndicalistes européens du contrôle aérien affirment que cela a désorganisé le ciel britannique au point qu'il cumule désormais 40 % de tous les retards de vols constatés en Europe.

Mais de cela, la Commission européenne ne pipe mot. Elle et les compagnies ne cessent de présenter les retards aériens comme imputables, non pas à la pagaille due à la concurrence entre ces mêmes compagnies, mais aux contrôleurs aériens. Un gros mensonge, repris par une partie de la presse et, ces jours-ci, par les rapporteurs du Parlement européen, afin d'accréditer l'idée qu'il faudrait " redynamiser " le contrôle aérien européen... en le soumettant à la concurrence, à des critères de rentabilité, bref, à une forme de logique commerciale.

Bien sûr, la Commission, les États et le Parlement européens n'évoquent plus ouvertement la privatisation de ce secteur car les autorités marchent sur des oeufs. Un des principaux rapports présentés à Strasbourg sur le Ciel unique faisait état des " réactions violentes " et du rejet que ce projet suscite chez les contrôleurs aériens, comme on l'a encore vu lors de leur grève européenne du 19 juin. Alors, sans y renoncer, les autorités enrobent la chose, " pour le moment " précisait ce rapport.

D'autant que ce projet revenait à l'ordre du jour deux mois à peine après la catastrophe aérienne du lac de Constance qui a montré à quels dysfonctionnements tragiques peut conduire une logique de marché appliquée à la navigation aérienne. En effet, l'organisme du contrôle aérien suisse a beau n'avoir été " que " partiellement privatisé, Swissair et Crossair siégeaient à son conseil d'administration et avaient fait pression pour réduire ses coûts de fonctionnement et de personnel. On avait ainsi autorisé que, de nuit, il n'y ait qu'un seul contrôleur pour s'occuper de deux secteurs aériens, quatre fois moins que la norme qui s'impose en France, ont dit des syndicalistes lors d'une conférence de presse à Strasbourg. Ce " quatre fois moins " de personnel et le fait qu'un contrôleur isolé ne disposait, faute d'équipements de secours, d'aucun appareillage pour remplacer ceux qui étaient en panne ou que la direction utilisait pour des activités commerciales sans rapport avec la navigation aérienne, tout cela n'a-t-il rien à voir avec les dizaines de morts du lac de Constance ?

Le Parlement européen a préféré ne pas soulever la question, tant la réponse aurait pu se retourner contre son projet qui prévoit d'introduire des normes de rendement pour les " aiguilleurs du ciel " et d'ouvrir au privé certains maillons de ce qu'ils appellent la " chaîne de sécurité ", ces services radio, radar, météo, de maintenance informatique, etc., que les autorités européennes qualifient d'annexes, alors qu'ils sont indispensables au fonctionnement du contrôle aérien, et donc à la sécurité des vols.

A la place, les autorités européennes ont cherché à apaiser les doutes des députés européens sollicités de voter en faveur d'un Ciel unique qui pourrait ouvrir la voie à une généralisation des économies en matière de sécurité, comme en Grande-Bretagne ou en Suisse. Ainsi, déjà présentés au vote en juillet dernier, les textes du Parlement européen sur le Ciel unique avaient été, cette fois, truffés d'ajouts ayant pour seul objet d'y faire figurer le mot " sécurité " (22 fois) ou d'en retirer toute allusion aux " raisons économiques ", entendez de profit, de cette " réforme ".

A défaut d'être rassurant, cela aura servi à faire qu'une immense majorité de députés européens (à l'exception de quelques dizaines d'entre eux, dont les trois élues de Lutte Ouvrière) a adopté, sans remords quant aux conséquences éventuelles de leurs votes, un " règlement sur la création du Ciel unique européen " qui ne peut qu'être profitable aux intérêts privés, en même temps que nuisible à la sécurité des passagers.

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