Amnistie : Deux poids, deux mesures30/08/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/08/une1778.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Amnistie : Deux poids, deux mesures

La loi d'amnistie, discutée à l'Assemblée nationale en juillet dernier, a été adoptée début août. Le journal Les Échos du 20 août titrait à ce propos : " Les employeurs vont devoir effacer les infractions amnistiées de leurs salariés ", et concluait que bien des aspects seraient nettement plus favorables aux salariés qu'aux employeurs. La réalité est tout autre.

Cette loi, qui amnistie des infractions commises avant le 17mai 2002, reprend dans les grandes lignes la précédente de 1995. Le gouvernement de Raffarin, tenant à son image de fermeté dans les questions de sécurité en particulier, a tenu à déclarer dans un communiqué : " ...Tenant compte de l'évolution de notre société et de la priorité accordée par le gouvernement à la lutte contre les différentes formes d'insécurité, il s'attache à mieux concilier le geste de pardon qui est l'inspiration de l'amnistie avec les nécessités de la répression ". La " fermeté " du gouvernement s'est exprimée dans les restrictions concernant les contraventions, dont on a beaucoup parlé. L'amnistie ne peut être accordée désormais que pour les délits punis de peines d'emprisonnement avec sursis d'une durée inférieure ou égale à six mois, et non plus neuf mois, comme en 1995. Les exclusions du bénéfice de l'amnistie sont également beaucoup plus nombreuses, 49 cette année contre 28 en 1995.

La justice de classe

Concernant les salariés, sont amnistiés, lorsqu'ils sont passibles de moins de dix ans d'emprisonnement, les " délits commis à l'occasion de conflits du travail, ou à l'occasion d'activités syndicales et revendicatives ", les " faits retenus comme motifs de sanctions par un employeur ", comme par exemple des retards répétés. Mais, pour un salarié que l'employeur aurait sanctionné par un licenciement, la loi ne prévoit pas que l'amnistie entraîne sa réintégration. Dans les précédentes lois d'amnistie de 1981 et 1988, figurait la possibilité théorique, au moins pour un représentant du personnel licencié, d'obtenir sa réintégration dans son emploi " à condition que cette réintégration soit possible ". Cela laissait de toute façon au patron la possibilité de refuser. Il lui suffisait de trouver des arguments convaincants. Mais même cela ne figure plus, depuis 1995, dans la loi.

Finalement, l'effet de l'amnistie pour les salariés consiste surtout en ce que les sanctions qui figurent dans les dossiers des salariés bénéficiant de l'amnistie en soient retirées. Les inspections du travail sont censées y veiller, en s'assurant du retrait effectif des mentions relatives à ces sanctions. " Les employeurs le font rarement, non par malice, mais parce qu'ils ne savent pas qu'il faut purger les dossiers ", prétend Gérard Filoche, inspecteur du travail, aujourd'hui proche du Parti Socialiste, qui fait preuve là d'une étonnante naïveté. Il est beaucoup plus probable que les employeurs ne le fassent pas, en toute connaissance de cause, ou bien fassent le geste de détruire les dossiers... après en avoir fait un double. De plus, bien des inspecteurs du travail, plus sensibles aux pressions des patrons qu'à celles des salariés, ne doivent exiger que mollement, ou même pas du tout, de voir les dossiers pour les vérifier. Et, de toute façon, quand ils dressent des procès-verbaux, les trois quarts de ceux dressés chaque année sont classés sans suite, selon le même Gérard Filoche. Seuls quelque 7000 procès-verbaux sur les 15 000 à 25 000 débouchent sur des condamnations, et pas plus de 541 conduisent à des peines de prison, dont 520 avec sursis... qui pourraient peut-être même être amnistiées. Quant à la liste des fautes commises par des patrons et qui ne sont pas amnistiées, comme le harcèlement moral ou la discrimination, ou le manquement à ses obligations en matière de santé et de sécurité des travailleurs, liste que le journal Les Echos trouve très favorable aux salariés, il n'y a là rien de gênant pour les patrons non plus. Il faudrait d'abord que les salariés réussissent à les faire condamner.

Ce n'est certainement pas en s'appuyant sur cette loi que les travailleurs peuvent faire valoir leurs droits. La seule façon efficace de faire reculer un patron sur des sanctions, ou sur un licenciement, reste pour les travailleurs de manifester collectivement leur détermination.

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