Pologne : Pape, foi et mauvaise foi23/08/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/08/une1777.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Pologne : Pape, foi et mauvaise foi

La visite du pape en Pologne, du 16 au 19 août, a remis ce pays sous les feux de l'actualité, d'autant plus que les journalistes ne se sont pas montrés avares d'images et de commentaires sur la popularité supposée de ce vieux chef réactionnaire.

Cependant, au-delà des gagateries religieuses, ce voyage, comme les précédents d'ailleurs, s'inscrit dans un contexte politique et économique polonais par rapport auquel il est loin d'être neutre.

Car, à court terme, des échéances électorales s'annoncent, et expliquent sans doute la surenchère de ferveur religieuse qui a saisi la classe politique, de la droite, bien évidemment, jusqu'à la gauche au pouvoir. Et, à plus long terme, l'entrée de la Pologne dans l'Union Européenne, prévue pour 2004, est également un sujet de préoccupations, et donne une dimension bien terrestre à l'injonction " N'ayez pas peur !" adressée par le pape aux Polonais.

Pourtant, onze mois après les élections législatives du 23 septembre 2001, qui avaient permis à la coalition de gauche de conquérir la majorité législative en plus du poste présidentiel déjà entre ses mains, les travailleurs polonais ont bien des raisons de ne pas se sentir rassurés.

Du cirque pour les hommes politiques...

Ces élections avaient vu la défaite de la droite, mais aussi l'émergence de petits partis populistes et nationalistes, à côté de la coalition de gauche. Résultat : le gouvernement de gauche s'est mis à les courtiser, et à courtiser également ses anciens adversaires, ce qui a dû laisser bien des électeurs de gauche perplexes.

Ainsi, le leader de Samoobrona, mouvement radical et populiste paysan, Andrzej Lepper - ex-boxeur et ex-membre du PC polonais à l'époque où ce dernier était au pouvoir, et qui, pour parfaire le tableau, collectionne les déclarations xénophobes voire antisémites - a fait une entrée remarquée au Parlement, puisque la coalition de gauche, pour tenter de l'amadouer, l'a nommé vice-président de la Diète... fonction dont il a été déchu peu après pour injures.

Autre objet de tous les ménagements, l'Eglise. L'entrée de la Pologne dans l'Union Européenne (UE) est en toile de fond de tous les débats, et est perçue, non sans raisons, par bien des Polonais, comme un risque de dégradation des conditions de vie de la population travailleuse, en particulier rurale. Du coup, une campagne " L'union sans secret ", a été menée par le gouvernement à partir du mois de mai dernier. Une cinquantaine de clips télévisés d'une minute ont été conçus, certains présentant les institutions européennes, d'autres les aides communautaires, et d'autres encore les traditions culturelles européennes, parmi lequels des clips évoquaient les " saints catholiques patrons de l'Europe " ! Plus solennellement encore, dans un document établi le 21 mars dernier par une conférence de l'épiscopat polonais, l'Eglise polonaise a pris position en faveur de l'adhésion à l'Union Européenne, tandis qu'au même moment crucial, l'actuel Premier ministre de la coalition de gauche, l'ex-membre du PC polonais Leszek Miller, avouait : " Je pense que Dieu existe. Il est dans l'Union Européenne... ".

Loin des cieux en tout cas sont ceux qui espéraient que l'arrivée de la coalition de gauche au pouvoir allait changer quelque chose à la législation interdisant l'avortement, à l'enseignement de la religion en tant que matière scolaire dans les écoles - réforme mise en place par la droite -, voire permettre un débat sur l'homosexualité ou l'euthanasie. Ces sujets ont disparu de l'actualité, et les médias polonais écrivent ouvertement que c'est là la contrepartie de l'entente Eglise-gouvernement sur l'Union Européenne. Dans la Lettre des cent femmes, 100 personnalités féminines, comme l'ex-prix Nobel de littérature Wislawa Szymborska ou encore la réalisatrice Agnieszka Holland, accusent carrément le gouvernement d'avoir " vendu " ses promesses électorales contre l'accord de l'Eglise sur l'Union Européenne.

...et des coups pour la population laborieuse

Quant à l'entrée de la Pologne dans l'Union Européenne, si elle sert de sujet de rodomontades nationalistes à la classe politique, d'autant plus que les élections municipales doivent se dérouler cet automne, elle est surtout une occasion de s'en prendre encore plus au niveau de vie comme aux quelques acquis légaux de la population travailleuse.

Pour l'agriculture, les négociations en cours montrent crûment dans quel sens les relations UE-Pologne s'orientent. L'UE prévoit en 2004 de ne verser aux agriculteurs polonais que 25 % des aides versées aux agriculteurs des pays membres de l'UE, ces aides n'atteignant progressivement 100 % qu'en 2013. En revanche, elle a déjà obtenu que la Pologne, grand producteur céréalier, ouvre sans restrictions douanières ses frontières au blé produit dans l'UE, dès le 1er octobre prochain.

En ce qui concerne la production industrielle et la législation du travail, les choses vont dans le même sens.

La Pologne avait créé, au début des années 1990, des zones économiques spéciales, à fiscalité réduite pour les entreprises, comme par exemple celle où s'était installée l'usine du groupe français Chantelle, à Starachowice. Dans le cadre de l'Union Européenne, ces privilèges fiscaux seraient contradictoires avec les règles de libre concurrence en ce qui concerne la circulation des capitaux. Qu'à cela ne tienne, le gouvernement polonais promet de trouver des compensations aux industriels " lésés ". Et il essaie, de plus, de transformer ces avantages fiscaux " polonais " en aides légales de l'UE au développement économique des régions les plus pauvres d'Europe.

Qui plus est, afin d'attirer les employeurs, ce même gouvernement dit de gauche a entrepris de transformer le Code du travail, autorisant entre autres les entreprises à multiplier les CDD pour le même employé (actuellement l'entreprise est tenue d'embaucher un salarié après le troisième contrat), permettant plus de flexibilité en ce qui concerne les horaires de travail et le respect des jours fériés, limitant les droits financiers des salariés en ce qui concerne les licenciements collectifs.

Et si beaucoup de grandes entreprises ont déjà été privatisées, le gouvernement de gauche vient de donner le signal de départ pour la privatisation des PME/PMI, et annonce la mise en vente d'entreprises dans les secteurs des centrales électriques et thermiques (EDF vient d'en acheter quelques-unes), les usines d'armement, l'industrie métallurgique, la chimie lourde, les producteurs de spiritueux (Pernod-Ricard est déjà sur le terrain), une partie des chemins de fer, l'industrie pharmaceutique, les stations thermales.

Peu importe au gouvernement actuel, qui s'est fait élire grâce à la lassitude qu'éprouvait la population faisant les frais des transformations économiques du pays, que le niveau de vie de celle-ci dégringole à nouveau. Peu lui importe que les chantiers navals de Szczecin, la première expérience des privatisations, soient actuellement en faillite et risquent de licencier des milliers d'ouvriers ; ou que le trust Whirlpool qui a racheté l'usine polonaise de machines à laver Polar y licencie également, ou encore que France Télécom qui a racheté l'opérateur polonais TPSA ait annoncé son intention d'y supprimer 20 000 emplois. Il cherche à gagner la bénédiction de l'Eglise, avec celle des milieux financiers. Et en Pologne, comme on l'a vu ailleurs, les hommes politiques de gauche sont en train de prouver aux capitalistes que, si parmi le personnel politique de droite ils ont bien des serviteurs, chez ceux de gauche ils ont d'excellents paillassons !

Partager