Écoutes de l'Elysée : Quand l'État montre le bout de ses grandes oreilles02/08/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/08/une1775.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Politiciens

Écoutes de l'Elysée : Quand l'État montre le bout de ses grandes oreilles

L'affaire des écoutes pratiquées par la cellule antiterroriste de l'Elysée semble approcher de sa conclusion devant les tribunaux. En effet, le 26 juillet, un procureur de la République a soumis à sa hiérarchie un projet de réquisitoire sur cette affaire. S'il est accepté, on pourrait s'acheminer vers un procès en correctionnelle.

Les faits remontent aux années 1982-1986. Prenant prétexte d'attentats terroristes dont le plus connu est celui de la rue des Rosiers, Mitterrand avait monté à l'Elysée son petit service secret personnel. Cela lui permit, entre autres, d'espionner les conversations téléphoniques de plus de 150 personnalités dont il se défiait : politiciens, avocats, journalistes, actrice, écrivain, etc. Ces écoutes étaient « illégales », car non ordonnées par un juge.

Le Monde dénonça la surveillance d'un de ses journalistes et Libération en publia les preuves, le 4 mars 1993. Dès le lendemain, le Premier ministre Bérégovoy demandait une enquête. Au bout de neuf ans, la voici près d'aboutir ! Elle a connu bien des épisodes, dont certains dignes de James Bond : manoeuvres dilatoires, recours au secret-défense, mises en examen, suicide d'un militaire impliqué, envoi anonyme de disquettes informatiques, découverte d'archives dans un box de garage, mise en cause d'un Premier ministre et d'un ministre de la Défense, etc.

Parmi les douze inculpés : le colonel-préfet Prouteau, chef de la cellule antiterroriste ; Michel Delebarre, qui fut ministre du Travail ; Gilles Ménage, nommé par la suite PDG d'EDF ; Schweitzer, l'actuel PDG de Renault, aussi impliqué dans le scandale du sang contaminé ; deux généraux et quelques militaires et policiers de moindre rang.

Et tous ceux-là ne sont que des lampistes. Le vrai responsable, Mitterrand, est mort en 1996. Quant aux Premiers ministres et ministres de la Défense de l'époque, Mauroy et Fabius, Hernu et Quilès, comment n'auraient-ils pas été au courant de ce qui se manigançait dans leurs services, à un haut niveau ? Comme l'affirmait Gilles Ménage, qui fut dix ans directeur de cabinet adjoint puis directeur de cabinet de Mitterrand à l'Elysée, « l'ensemble de l'appareil d'État était au courant ». Mais pour traîner tout ce beau monde en correctionnelle, il ne suffit pas de le vouloir.

Maintenant, à supposer que le procès soit décidé, il ne se tiendra pas avant 2004, au mieux. Il est vrai que, vingt ans après les faits, neuf ans après le début de l'enquête, il n'y a plus urgence.

Et de toute façon, condamner les membres de la cellule de l'Elysée ne mettra pas fin aux écoutes « illégales », pour ne rien dire de celles qui sont légales. Chirac, éphémère ministre de l'Intérieur de Pompidou en 1974, affirmait avoir décidé « la fin des écoutes téléphoniques ». Son successeur, Poniatowski, déclarait : « La règle, c'est la suppression des écoutes, avec des dérogations précises. »

Sous Mitterrand, le ministre de l'Intérieur Defferre dès le 3 juin 1981 signait dans Le Monde un article intitulé : « En finir pour toujours avec les écoutes ». Un an plus tard, le président lui-même faisait effectuer ses branchements personnels !

Quelles que soient les déclarations ou les décisions des responsables politiques, l'appareil d'État bourgeois affectionne les « grandes oreilles ». Il n'est pas né, le juge qui les lui coupera.

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