Intervention d'Arlette Laguiller : Changer le rapport de force entre le grand patronat et le monde du travail24/05/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/05/une1765.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

La Fête de Lutte Ouvrière

Intervention d'Arlette Laguiller : Changer le rapport de force entre le grand patronat et le monde du travail

Travailleuses, travailleurs, camarades,

Après une élection présidentielle hors du commun, où l'on a vu tous les partis de gauche et une fraction de l'extrême gauche se ruer dans une campagne destinée à plébisciter Chirac, qui a été de ce fait élu avec 82 % des voix, ce qui est une majorité dont aucun président de la République n'a bénéficié, nous entrons dans la campagne pour les élections législatives.

La gauche et la droite vont s'affronter, et la gauche a pris un temps de retard sur la droite, qui mène depuis des semaines sa campagne électorale. Le gouvernement Raffarin prend des mesures symboliques, parce qu'elles ne peuvent pas, pour le moment, être votées, mais qui sont destinées à plaire à l'électorat de droite et même à celui d'extrême droite. La gauche gouvernementale, de son côté, en est encore à se remettre de sa double défaite.

D'abord, elle n'a pu être présente au second tour de la présidentielle car ses deux principaux partis, représentés l'un par Lionel Jospin, l'autre par Robert Hue, ont perdu à eux deux 4 millions de voix au premier tour. Si Jospin a été éliminé du deuxième tour, c'est infiniment moins à cause des voix gagnées par Le Pen par rapport à 1995 que parce que Jospin en a perdu bien plus. En fait, il n'est passé derrière Le Pen qu'à moins de 200 000 voix près.

La deuxième défaite de la gauche, c'est d'avoir largement contribué à plébisciter Chirac. Qu'importe que Le Pen ait été battu par 82 % de voix pour Chirac, plutôt que par 66 % si la gauche avait fait voter blanc. Il aurait été battu de toute façon, et le score importait peu ! Seules les voix comptaient. Quand on parle de score dans un match, on cite le nombre de buts ou de points, mais pas leur pourcentage !

La gauche n'avait pas à se prostituer pour faire voter pour un homme que, quelques jours auparavant, elle combattait. Il y a des différences entre la gauche et la droite. La gauche a pris quelques mesures libérales, sociétales comme ils disent dans leur jargon des grandes écoles, pour satisfaire, croyait- elle, son électorat. Il y a eu le PACS. Il y a eu les 35 heures qui, si elles ont été un avantage pour une partie des travailleurs, le plus souvent des cadres, ont été pour une partie bien plus grande à l'origine de l'aggravation de leurs conditions de travail. Nulle part on n'a embauché suffisamment pour compenser les 10 % de diminution de l'horaire. Cela s'est forcément traduit par une augmentation de l'intensification du travail. Ce qui est absolument intolérable dans les domaines où l'intensité du travail était déjà grande. Les hôpitaux n'en sont que la plus connue des illustrations.

La CMU est peut-être la seule mesure un peu sociale, mais qui ne coûte rien au patronat. Et c'est une mesure qui ne résout pas les problèmes fondamentaux, comme le chômage. Le plein emploi donnerait une couverture sociale à tous.

En fait, les hommes politiques de la droite mentent de la même façon à leur propre électorat. Oh, ils ne mentent pas au monde de la finance, au grand patronat, à tous ceux qui dirigent économiquement la société et, de ce fait, imposent leurs lois. De toute façon, ces gens-là savent à quoi s'en tenir ! Le gros de l'électorat de la droite, ce sont tous ceux qu'on appelle les classes moyennes et qui sont eux-mêmes victimes de la société, même quand ils ont des revenus largement supérieurs aux travailleurs.

La droite leur promet des baisses d'impôt. Mais ces baisses d'impôt, ils les paieront aussi par ailleurs : routes moins entretenues, moins de passages à niveau dangereux ;supprimés, moins d'amélioration de la circulation routière dans les villes, moins d'hôpitaux, de proximité ou pas, pour les soigner, moins de lits dans es grands hôpitaux qui resteront, moins de matériels et de médecins performants dans ces ;rands hôpitaux. Bien sûr, il y i les cliniques privées, mais le profit en est le moteur. Et s'ils 'y font soigner, ils seront eux aussi victimes de cette course au profit.

La droite, comme la rauche, ne fera rien pour diminuer le chômage dans les banlieues sacrifiées et rien pour augmenter les moyens et les effectifs de l'Education nationale dans ces banlieues. C'est-à-dire qu'elle ne fera rien pour 'attaquer aux racines de 'insécurité. Oh, bien sûr, la droite parlera du tout répressif ! Mais même cela, c'est un mensonge vis-à-vis de son lectorat. Parce que moins l'impôt, cela voudra dire coins de moyens pour une police humanisée, plus présente en permanence, au contact de la population, de pur comme de nuit, si c'est pour assurer la sécurité des personnes. Ce ne sont pas les policiers munis de « flash-ball » arrivant comme la cavalerie américaine contre les Indiens, qui supprimeront le mal-vivre ans les banlieues et l'insécurité. Il s'agit d'une fumisterie qui ne servira à rien. Et comme ces armes coûtent cher, il est probable que la majorité des policiers concernés n'en seront pas munis avant des années, faute de budget.

En fait, il n'y a pas de solutions magiques pour remédier à ces situations. Tout le problème est que l'Etat doit disposer de suffisamment de ressources pour assurer à l'ensemble de la population un fonctionnement harmonieux de la collectivité. Pour cela, il ne faut pas diminuer les impôts, et en particulier ceux des plus riches. Il ne faut pas diminuer les impôts sur les bénéfices des entreprises. (...)

Il faut imposer l'interdiction des licenciements collectifs, en particulier par des entreprises qui font du profit. Il est possible d'imposer cela par une loi, afin que les ministres, les préfets ou les maires ne puissent se dire impuissants. Pour que cette loi puisse avoir un effet, il faut rendre publiques les comptabilités des entreprises. Car il est possible de masquer des bénéfices par des rachats d'autres entreprises, ou par bien d'autres moyens dans lesquels les conseillers financiers du grand patronat sont experts.

Il faut que ces comptes puissent être contrôlés par l'ensemble de la population. Il faut lever le secret bancaire, pour que les employés des banques puissent participer à ces contrôles et les rendre plus efficaces. Il faut lever le secret commercial, pour savoir si les redevances diverses correspondent à la réalité ou à des intérêts fictifs, à des royalties sur des brevets fictifs, payés à des filiales. Oui, il faut que la population, que les travailleurs, que les consommateurs aient leur mot à dire dans la marche des grandes entreprises, qui jouent un rôle considérable dans l'économie du pays.

On nous parle de l'alimentation. On impose peu à peu, paraît-il, un étiquetage obligatoire de ce qui entre dans ce qu'on nous fait manger. Mais qui nous dit que cet étiquetage correspond à la réalité ? N'est il pas plus efficace de demander aux travailleurs de vérifier eux-mêmes ce qui entre dans la composition des produits, ce qu'il y a dans les matières premières, ce qu'on en fait? On aurait sûrement des surprises... Pour le moment, les travailleurs n'ont même pas le droit de le dire.

L'abolition du secret commercial serait leur donner ce droit. Il n'y aurait pas besoin d'innombrables agents du fisc, des douanes ou de la santé : les employés, les travailleurs, la population se chargeraient volontiers de tels contrôles. Oui, tout cela est possible, mais cela demande de l'imposer au grand patronat. C'est loin d'être une révolution. C'est simplement une mesure de salut public, une mesure de sauvegarde de l'économie. Diminuer le chômage, voire le supprimer, permettrait de payer des retraites convenables à tous ceux qui ont travaillé 37 ans et demi. Cela permettrait de soigner toute la population, de donner aux assurés et à la Sécurité sociale le moyen de payer 20 euros la consultation d'un médecin de ville ou de campagne.

En fait, le grand capital exploite toute la société, et pas seulement les travailleurs. Et l'Etat et les gouvernements, quelle que soit leur couleur, sont au service des intérêts généraux du grand capital. En fait, ce ne sont pas les électeurs qui choisissent réellement ceux qui nous gouvernent. Si l'on attend des mesures efficaces - et seules des mesures radicales seront efficaces - du gouvernement qui sortira des urnes, on sera déçu. C'est pourquoi sa couleur importera peu.

D'ailleurs, la gauche nous a appris au deuxième tour de la présidentielle qu'elle et Chirac, c'est pareil. C'est pourquoi Lutte Ouvrière présentera des candidats dans toutes les circonscriptions du pays. Il faut continuer à nous battre pour que la situation du monde du travail ne s'aggrave pas. Et nous nous présentons dans 560 circonscriptions, la totalité de celles de l'Hexagone, de la Corse et de l'île de la Réunion, pour permettre au maximum de travailleurs de dire qu'ils sont conscients que la droite les opprime et que la gauche leur ment ; conscients qu'il faudra imposer les mesures dont je viens de parler ; que ces mesures peuvent paraître utopiques, mais ce n'est pas le cas.

La force unie du monde du travail, de grandes luttes, comme celles de juin 1936 ou de mai 1968, peuvent tout à fait imposer de telles revendications qui sont, à tout prendre, moins importantes que celles qui avaient été gagnées pour la première fois en 1936.

Alors, le 9 juin, vous aurez partout l'occasion de voter pour une candidate ou un candidat de Lutte Ouvrière, de voter pour un programme revendicatif qui, seul, pourra changer le rapport de force entre le grand patronat et le monde du travail.

Cela pourra être aussi une étape dans la construction d'un parti représentant les intérêts politiques et sociaux fondamentaux des travailleurs et de la population laborieuse, c'est-à-dire un nouveau parti communiste.

Alors, camarades et amis, bien qu'elle soit réduite à une seule journée, je vous souhaite à toutes et à tous une très bonne fête !

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