On ne combat pas Le Pen en soutenant Chirac26/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1761.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Elections présidentielles

On ne combat pas Le Pen en soutenant Chirac

Le fait que le deuxième tour de l'élection présidentielle voie s'opposer les seuls Chirac et Le Pen a fait naître une émotion parmi bien des sympathisants de gauche, jeunes et moins jeunes. Des dizaines de milliers de jeunes lycéens ou étudiants sont descendus dans la rue pour faire connaître leur rejet des idées de Le Pen. C'est tant mieux, et Lutte Ouvrière a été, et continuera bien sûr de l'être, totalement partie prenante de ces manifestations.

Mais du côté des partis de la gauche plurielle - PS, PCF, Verts -, la seule perspective proposée est celle du vote Chirac au second tour en se contentant, en guise de raisonnement politique, de ce choix électoral : voter Chirac empêchera Le Pen de passer, disent-ils, en oubliant que cela veut dire aussi cautionner sa politique passée et à venir, dont rien ne nous garantit qu'elle ne rivalisera pas avec celle de Le Pen sur le terrain de la réaction, et dont on est assuré en tout cas qu'elle s'attaquera au monde du travail et à la population laborieuse, aux retraites, aux salaires, aux services publics.

C'est en fait parce que les partis de la défunte " gauche plurielle " n'ont pas d'autre politique à proposer qu'ils voudraient enfermer l'électorat de gauche dans ce piège. Et pourtant, le choix, pour faire réellement barrage à l'extrême droite et à ses idées, ne peut pas être seulement de plébisciter le 5 mai prochain celui qui opprimera demain les classes populaires. Que l'on baptise cette union nationale derrière le candidat de la droite du nom pompeux de " front républicain " ou autrement, c'est lier par avance les mains à la population, la désarmer et la démoraliser, puisque " c'est elle qui aura choisi " son futur président.

Pourtant faire campagne contre Le Pen n'implique pas obligatoirement d'appeler à voter Chirac ! Cette position, en fait, est, sur le plan électoral, l'aveu que les partis de la gauche plurielle ne se sentent même pas capables de s'adresser aux électeurs de Le Pen du 21 avril pour les convaincre de ne pas renouveler leur vote.

Bien sûr, parmi les électeurs de Le Pen il y a de fieffés réactionnaires qui rêvent de mettre la classe ouvrière au pas, et accessoirement tous ceux qui se réclament des idées progressistes ; mais il y a aussi malheureusement de nombreuses personnes issues des milieux populaires qui sont trompées par la démagogie de Le Pen, et qui ne voient pas qu'en réalité Le Pen est aussi leur ennemi et même leur pire ennemi. Il est vrai que si l'électorat Le Pen se maintient à un niveau élevé c'est bien souvent parce que la politique menée depuis des années par les partis de gauche les a déçus... et ces partis sont donc mal placés aujourd'hui, entre deux tours d'élection présidentielle, pour changer de langage et de politique et pour trouver le moyen de s'adresser à tous ceux qu'ils ont déçus en menant au gouvernement une politique complètement étrangère aux préoccupations des classes populaires.

Chirac, quant à lui, est le représentant attitré de la grande bourgeoisie, formé et propulsé en politique pour être son représentant zélé dans les allées du pouvoir et le défenseur intransigeant des intérêts particuliers du grand patronat.

Dire qu'on peut s'opposer à Le Pen et à ses idées en votant Chirac, c'est une duperie qui ne peut que renforcer la fausse image du leader du Front National, contribuer à lui donner l'auréole d'un opposant radical au système dans son ensemble, lui le milliardaire chef d'entreprise qui n'est autre que l'ultime rempart du monde des possédants. C'est d'autant plus une duperie que Chirac peut très bien, demain, reprendre lui-même à son compte tout ou partie de la politique de Le Pen. Il n'y a pas de cloison étanche entre la droite et l'extrême droite. Les choix entre l'une et l'autre que font les politiciens sont bien souvent affaire de circonstances et d'opportunités politiques.

Il faut rappeler que Chirac a construit son ascension politique en faisant revivre le mythe de l'ancien parti d'extrême droite de De Gaulle, le Rassemblement du Peuple Français, (RPF), en fondant en 1976 le Rassemblement Pour la République (RPR), qui se présentait comme le représentant d'une droite dure et radicale face au laxisme de Giscard à qui il reprochait de reprendre à son compte les idées de la gauche. Pour plaire à l'électorat raciste et xénophobe, il mit en avant les valeurs de " la patrie ", parla " des bruits et des odeurs " des immigrés dans les HLM, leur cuisine et le reste... Et c'est bien à dessein, quand Chirac revint au pouvoir en 1986, que son ministre de l'Intérieur Pasqua organisa démonstrativement des charters pour expulser les immigrés et qu'une série de lois répressives furent préparées.

Alors Chirac est tout à fait capable de reprendre à son compte, une fois au pouvoir, la politique qui vise à plaire à l'électorat de Le Pen, en généralisant la chasse aux immigrés et en édictant des lois répressives xénophobes. Sans parler des lois antiouvrières qu'un plébiscite en sa faveur l'encouragerait à prendre, en se sentant " légitimé par la nation tout entière ".

Rappelons aussi que toute une partie de l'encadrement des partis d'extrême droite d'aujourd'hui vient du RPR ou de l'UDF, certains comme Madelin, eux, ayant fait le chemin inverse. Le passage d'un bord à l'autre n'a jamais posé de problèmes dans ces milieux où l'on se combat surtout pour des raisons d'influence électorale et de choix politiciens. Alors, présenter Chirac et ses compères comme un rempart contre Le Pen et ses idées serait une douce plaisanterie, si les choses n'étaient pas sérieuses.

En réalité, certains à gauche voudraient se servir de cette sorte d'union nationale dans le vote Chirac, pour cacher leur véritable politique, qui refuse de s'attaquer au pouvoir du grand patronat et à sa dictature économique qui pèse sur les conditions de vie de la population laborieuse

Faire cause commune avec un tel ennemi avéré des travailleurs, ce n'est pas faire barrage à la pire des réactions, c'est au contraire faire son lit.

Partager