Canal+ et Jean-Marie Messier26/04/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/04/une1761.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Canal+ et Jean-Marie Messier

Vivendi, l'ex-Générale des Eaux, dont Jean-Marie Messier est le PDG, est le premier employeur privé français. Même avec la tourmente boursière que traverse son groupe, on trouvera difficilement des portraits critiques de Messier dans la presse française. Il faut dire que son groupe est aussi le deuxième éditeur de journaux et de magazines et le premier annonceur publicitaire, avec un budget publicitaire de 2 milliards de francs.

Jean-Marie Messier aime son surnom de J6M, qui lui a été attribué par les " Guignols " et qui signifie " Jean-Marie Messier-Moi-Même-Maître du Monde ". Effectivement, difficile d'échapper aux produits de Vivendi Universal : ils envahissent notre vie quotidienne. Quand on boit un verre d'eau, en regardant Canal Plus, qu'on passe un coup de fil sur un portable SFR, qu'on feuillette L'Express puis qu'on va au cinéma dans une salle UGC ou Pathé, en empruntant un autobus d'une grande ville de province, on consomme du Vivendi. Il n'est jusqu'aux ordures ménagères qui sont souvent recyclées par Onyx, filiale du groupe. Mais la vraie spécialité de Vivendi et de Messier, c'est le recyclage de l'argent public en profit privé.

Toute la carrière de Messier est le fruit des relations, des passerelles de tous ordres entre dirigeants politiques, ministres et capitalistes. Sa fortune est la preuve de la soumission de l'Etat et de ses dirigeants aux intérêts du privé.

Né en 1956, après l'ENA, en 1982, Messier devint inspecteur des finances. En 1986-1988, il fut le directeur de cabinet de Camille Cabana, ministre délégué chargé de la Privatisation, puis conseiller technique de Balladur, ministre de l'Economie, des Finances et de la Privatisation. En fait, Messier a été l'orchestrateur des privatisations, en particulier celle de Havas et de TF1, et chargé d'établir les fameux " noyaux durs ", où le RPR et le PS placèrent leurs hommes. Dix ans plus tard, Messier allait faire main basse sur Havas, qu'il avait donc préalablement privatisé.

La droite ayant perdu les élections, il devint en 1989 associé-gérant dans la banque d'affaires Lazard... qui profita de certaines privatisations lancées par Messier lui-même. On n'est jamais si bien servi que par soi-même.

En 1994, ses relations tant économiques que politiques lui valurent d'être parachuté administrateur et directeur général du groupe Générale des Eaux, qui devint Vivendi en 1998. Le marché de l'eau, confié à 80 % au privé en France, est une rente sans équivalent. Réparti essentiellement entre la Générale et la Lyonnaise des Eaux, le prix de l'eau du robinet a bondi en France puisque la facture moyenne d'eau a augmenté de 61 % entre 1991 et 1997, et à Paris de 118 % entre 1984 et 1997 (Vivendi distribue sur la rive droite et Suez-Lyonnaise sur la rive gauche).

S'il a commencé sa carrière à droite et y conserve d'excellentes relations, Messier soigne aussi ses relations à gauche. On se rappelle que Dominique Strauss-Kahn, en tant qu'avocat d'affaires, avait joué le rôle d'entremetteur entre la mutuelle étudiante, la MNEF, et la Générale de Eaux. Catherine Tasca, avant d'être ministre socialiste de la Culture et de la Communication, présidait le conseil d'administration de Canal horizon, filiale de Canal Plus et de la Générale des Eaux, de 1993 à 1997. Elle l'a quitté, non sans des stock-options, encaissant les plus-values juste avant de rentrer au gouvernement.

Régulièrement, Jean-Marie Messier invite députés, hommes d'affaires, journalistes à des réceptions ou des concerts au château de Vivendi à Méry-sur-Oise.

Les relations sont payantes : les pouvoirs publics ont fermé les yeux sur la mainmise totale, pourtant illégale, de Vivendi sur une chaîne de télévision. Messier a obtenu des gouvernements successifs plusieurs milliards de francs de cadeaux : lors de l'attribution des licences UMTS, mais aussi 3 milliards de francs d'exemptions fiscales lors de la fusion avec Pathé, puis 5 milliards avec Universal. Le personnel hospitalier ou enseignant qui réclamait des effectifs n'en a jamais obtenu autant.

Ce sont les milliards, obtenus sur le dos des consommateurs et des contribuables, qui lui ont permis de se lancer dans son aventure américaine et de racheter à tour de bras des studios à Hollywood et des firmes de cinéma.

En 2000, il déclarait gagner 28 millions de francs (4,27 millions d'euros) de salaire annuel, hors stock-options. Mais jaloux d'être encore moins bien payé que les dirigeants américains du groupe, il s'est fait payer par son groupe un duplex de 520 mètres carrés sur Park Avenue à New York, pour plus de 17 millions de dollars. Le mètre carré le plus cher du monde, d'après le magazine Time.

Mais il faut croire qu'aux Etats-Unis, faute d'un monopole acquis comme en France, grâce à la complicité des pouvoirs publics, Messier peine à engranger les profits. Le groupe vient de déclarer 13,6 milliards d'euros de pertes. Alors que l'action Vivendi a chuté de 40 % en un an, il n'a pas hésité à augmenter son salaire de 80 %. Tant qu'il s'enrichissait au détriment des salariés et des consommateurs, cela ne choquait personne dans les milieux de la finance et des conseils d'administration. Mais qu'il s'enrichisse à leurs dépens, voilà qui défrise certains actionnaires. C'est pourquoi on lui prédit une assemblée annuelle mouvementée.

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