Italie : Berlusconi se heurte à la classe ouvrière29/03/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/03/une1757.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Italie : Berlusconi se heurte à la classe ouvrière

Le samedi 23 mars, entre un et deux millions de manifestants ont couvert la " ville sainte " de drapeaux rouges pour dénoncer l'attaque de Berlusconi contre un acquis des mobilisations de 1968-70 : la possibilité en cas de licenciement abusif de s'adresser aux tribunaux pour une réintégration effective (article 18 du statut des travailleurs).

Un succès donc, que l'assassinat, quatre jours avant, d'un conseiller du ministère du travail attribué aux brigades rouges n'a pu ni empêcher ni obscurcir. Et pourtant les tentatives de s'en servir pour détourner la colère n'ont pas manqué : du gouvernement, qui a pu brandir opportunément le spectre d'une nouvelle vague terroriste, aux dirigeants syndicaux, qui se sont crus obligés de s'excuser de prendre la tête de la protestation en ajoutant un appel à " la nécessaire unité de tous les Italiens contre le terrorisme ".

La manifestation de samedi est l'aboutissement de plusieurs semaines d'agitation dans tout le pays secoué du sud au nord par des rassemblements, des grèves et des cortèges. La remise en cause du fameux article 18 n'est en effet que la dernière attaque d'une offensive en règle du gouvernement d'extrême droite contre les acquis des travailleurs.

Cette agitation ouvrière fait suite à une mobilisation des couches de la petite bourgeoisie commencée il y a plusieurs mois : artistes et salariés des médias qui contestent la mainmise de Berlusconi sur la télé et les moyens de communication, juges et hommes de loi qui dénoncent les mesures couvrant les actes délictueux du même, enseignants, étudiants et lycéens qui refusent un enseignement au service des patrons, militants anti-mondialisation qui s'opposent au tout libéral d'un gouvernement qui les a réprimés violemment à Gênes.

A ces contestations diverses sont venues s'ajouter celle des précaires et des chômeurs qui ont manifesté et occupé banques, agences d'intérim et édifices publics, ou encore des sans papiers contre les lois d'exception visant les immigrants illégaux. Le 2 mars à Rome, déjà des dizaines de milliers de manifestants conspuaient Berlusconi tout en marquant leurs distances d'avec les partis de gauche.

La gauche en manoeuvre

Car ces partis de gauche sont très discrédités. Ils ont détenu la majorité à l'assemblée pendant cinq ans, jusqu'au succès de Berlusconi en mai 2001. Pendant tout ce temps ils ont cautionné toutes les attaques anti-sociales. Une politique qui remonte encore plus loin : après la chute d'un premier gouvernement Berlusconi à l'automne 1994 devant la mobilisation contre sa réforme des retraites, n'est-ce pas grâce à la caution de la gauche que son successeur, Lamberto Dini, a réussi à faire passer les mêmes mesures contre les retraites !

Certes aujourd'hui Berlusconi, à qui les dirigeants de gauche ont pavé la voie par leur politique anti-ouvrière, est le prétexte rêvé pour faire oublier leurs trahisons passées. Ils peuvent compter sur lui pour mener une politique tellement hostile au monde du travail qu'elle en fera oublier la leur. Mais leur suffira-t-il pour cela de rester discrètement dans un premier temps derrière les centrales syndicales, ou même les organisations plus contestataires, comme ils le font aujourd'hui ?

Car le rassemblement de Rome doit certainement son succès au fait qu'il était appelé par la CGIL, la confédération syndicale la plus influente. Pourtant la CGIL est liée au parti DS (démocrate de gauche), l'ex-parti communiste italien devenu un parti de centre-gauche. Elle aussi dans le passé a souvent servi de caution aux politiques anti-sociales des gouvernements successifs, signant les accords avec le patronat et l'Etat pour bloquer les salaires, flexibiliser le travail ou remettre en cause les acquis sociaux, comme les retraites ou le droit de grève. Le 15 février dernier encore, avec les autres centrales syndicales, UIL et CISL, elle avait retiré l'appel à une mobilisation contre la suppression des protections anti- licenciement, sous le prétexte qu'une convention collective avait été signée dans la fonction publique. Ce n'est qu'à l'appel de syndicats minoritaires que cent mille manifestants défilaient quand même dans les rues de Rome. L'avertissement n'a pas été complètement perdu. Non seulement la CGIL a organisé le 23 mars, mais son secrétaire général, Sergio Cofferati, multiplie les menaces de grève générale au cas où l'article 18 ne serait pas maintenu. Cela ne transforme pourtant pas la CGIL en la direction nécessaire pour mener jusqu'au bout de ses possibilités la mobilisation actuelle.

En Italie aussi c'est d'abord en un coup de colère des travailleurs, suffisamment fort pour casser le piège que leur tend la gauche, prendre la tête de tous les mécontentements et s'attaquer sérieusement aux patrons et au pouvoir, qu'il nous faut surtout espérer. D'autant plus que les leaders de la première heure du mouvement, toute la mouvance intellectuelle ou militante qui se veut à la gauche de la gauche et a eu certes le mérite de se lever la première contre Berlusconi, semblent incapables de proposer une alternative politique fondée sur la mobilisation ouvrière et laissent du coup le champ à peu près libre à cette gauche, même quand ils sont très critiques vis-à-vis d'elle.

Partager