Conférence de Monterrey : Cachez cette pauvreté29/03/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/03/une1757.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Conférence de Monterrey : Cachez cette pauvreté

Lors du sommet des Amériques, à Québec, les autorités canadiennes avaient fait installer une clôture de trois mètres de haut et de 3,6 km de long, pour assurer la " protection " des chefs d'Etat venus discuter de la création d'une zone de " libre échange " entre les pays de l'Amérique du Nord et du Sud. La " liberté ", ils en ont parlé, mais derrière des grillages.

Cette fois, c'est à Monterrey au Mexique, à l'occasion de la conférence des Nations unies sur l'aide au développement, qu'un mur de deux mètres de haut et de 200 mètres de long a été érigé... en parpaings. Il ne s'agissait pas cette fois de protéger les chefs d'Etat venus s'écouter parler de la pauvreté, mais de cacher le bidonville se trouvant sur le chemin menant au lieu de la conférence.

Les pauvres, ils en parlent, mais ils préfèrent ne pas les voir.

S.R.

Grande-Paroisse (AZF) Toulouse - Salariés, sinistrés : un face-à-face nuisible à tous

A Toulouse, cela fait des semaines que se préparent les manifestations pour commémorer les six mois de l'explosion du 21 septembre. D'un côté l'Intersyndicale du pôle chimique préparait une manifestation nationale, le jeudi 21 mars, à Toulouse, pour les entreprises de la Chimie en solidarité avec les travailleurs du pôle chimique. De l'autre côté, le samedi 23 mars, le collectif " Plus jamais ça ni ici ni ailleurs ", regroupant notamment les associations de sinistrés et la mouvance écologiste, organisait une manifestation pour s'opposer à toute réouverture du pôle chimique à Toulouse. La confrontation n'eut pas lieu, mais elle était palpable dans tous les esprits.

Le 21 mars, derrière une banderole " la chimie un besoin, la sécurité une exigence ", 1500 à 2000 salariés ont manifesté pour la réouverture des entreprises du pôle : AZF, SPE, Tolochimie, Raisio, et Isochem. Il y avait, en plus des salariés de ces entreprises venus en nombre, des cortèges d'entreprises sous-traitantes (Ponticelli, Samat). Une grosse partie du cortège était constituée de délégations d'usines de chimie de toute la France. Pour la plupart de ces manifestants, il s'agissait d'être solidaires de leurs camarades de Toulouse dont l'emploi était menacé. Comme pour la délégation des ouvriers de Péchiney Marignac (situé au fond du département de la Haute-Garonne) dont l'usine est menacée de fermeture, ils s'associaient simplement à l'exigence des travailleurs de la chimie de Toulouse de garder leur gagne-pain, dans la valse des plans " sociaux " de licenciements actuels.

Il est vrai que TotalFinaElf, le groupe pétrolier qui possède AZF, jugeait avant l'explosion que la division engrais du trust n'était pas assez rentable. Et même si les dirigeants de Total ne l'ont pas annoncé, leur silence persistant quant à l'avenir industriel envisagé pour AZF en dit long sur leurs intentions de... fermeture.

Donc, l'explosion a fait le larron. Mais il ne s'agit pas d'un plan de licenciements comme ceux que l'on connaît actuellement. Et il n'y a pas que l'emploi et l'avenir des salariés concernés qui soient en question. Il y a quand même eu une explosion catastrophique, dont la responsabilité incombe à Total et au choix du tout-profit au détriment de la sécurité, comme aux pouvoirs publics qui ont laissé faire. Une explosion qui a fait 31 morts, des milliers de blessés, des dizaines de milliers de sinistrés (dont certains vivent encore dans des mobile-homes), et un réel traumatisme pour toute la population des quartiers populaires du sud de la ville. Il y a la volonté, manifestée à plusieurs reprises, de la majorité des habitants de ne plus vivre à côté d'une bombe à retardement.

Beaucoup des travailleurs non toulousains qui manifestaient le 21 mars se sont rendus compte, de visu (et c'est autrement impressionnant qu'à la télévision), des effets dévastateurs de l'explosion sur l'usine elle-même comme dans certains quartiers populaires (toitures arrachées, bâtiments défoncés), dont pourtant une partie seulement des traces étaient encore visibles. La manifestation démarrait de l'usine AZF dévastée et traversait une partie des quartiers limitrophes touchés par l'explosion. A quelque 300 ou 400 mètres de l'usine, elle est passée devant un foyer de jeunes travailleurs détruit, une école maternelle où parents et enfants formaient une chaîne silencieuse réclamant " aussi le droit de vivre ". On sentait une tension à couper au couteau entre les salariés d'un côté, les sinistrés de l'autre.

Plus loin, quelques pancartes sur le côté de la manifestation " Salariés du pôle chimique, réclamez votre reconversion " se sont attiré quelques quolibets. Les affiches de " Plus jamais ça " étaient systématiquement recouvertes, notamment par une affichette représentant le visage d'un porte-parole de l' " Association des sinistrés du 21 septembre " de la cité Papus, avec la mention " Wanted ", comme si sa tête était mise à prix, affichette qui est très répandue dans l'usine AZF. D'ailleurs, la veille de la manifestation, un incident musclé avait opposé un petit groupe de militants du collectif " Plus jamais ça " à une cinquantaine de salariés de l'usine, appelés par le porte-parole de l'Intersyndicale, pour les déloger brutalement des locaux loués par AZF qu'ils occupaient symboliquement, sous le regard satisfait du directeur de l'usine. Tout un symbole de la politique menée par les dirigeants syndicaux de l'usine, pour qui la lutte de classe a été soufflée tout comme le reste par l'explosion. Pour eux, vive l'union sacrée : leurs adversaires ne sont pas les actionnaires de Total, bien au contraire, puisqu'ils lient leur sort à eux dans la défense de la chimie toulousaine, et détournent de Total la colère des salariés.

Dans la manifestation, seules deux banderoles s'en prenaient à Total. La première disant : " Tous ensemble exigeons de Total salaire et emploi à Toulouse " signée " des salariés d'AZF ", avec très peu de travailleurs de l'usine et quelques militants connus de Lutte Ouvrière, affirmait notre solidarité avec cette exigence. Une autre à ses côtés, de la CGT Grande Paroisse Rouen affirmait : " Pour tous les emplois, pour tous les dégâts, Total doit payer ".

Deux jours plus tard, le samedi 23 mars, derrière la banderole " Plus jamais ça, ni ici, ni ailleurs " il y eut entre 5000 et 10 000 personnes pour défiler. Toutes les associations de sinistrés étaient présentes en nombre, des enfants des écoles touchées, avec leurs parents et enseignants, l'association des victimes corporelles dont la porte-parole a manifesté en fauteuil roulant, des sinistrés anonymes des quartiers populaires, des organisations de la mouvance écologiste, des syndicalistes de SUD ou de la FSU. La même banderole signée " des travailleurs d'AZF " était aussi présente avec quelques travailleurs de l'usine qui furent applaudis ainsi que la banderole " Total et pouvoirs publics responsables et coupables doivent créer et financer les emplois pour reclasser tous les travailleurs touchés " signée Lutte Ouvrière et la banderole de la LCR. C'est dans cette partie du cortège qu'ont fusé les seuls slogans contre Total, notamment : " Pour indemniser les sinistrés, pour reclasser ici les salariés touchés, prenons sur les profits de Total-Fina ". La manifestation était certes moins ouvrière que celle du jeudi 21, mais elle était massive et avait un caractère populaire.

Sur la question de la réouverture ou pas du pôle chimique, il y a donc bien deux orientations qui s'opposent. Et, d'un côté comme de l'autre, on trouve des travailleurs, des victimes, des sinistrés. Ce face à face aurait dû être évité, car les uns et les autres sont les victimes de la même politique capitaliste qui privilégie le profit, et que protègent ou cautionnent les pouvoirs publics à leur solde. L'union de tous les salariés concernés et des sinistrés aurait été possible, elle aurait constitué une force contre Total, la seule capable d'imposer le respect des intérêts de tous. Les dirigeants syndicaux, malheureusement, n'ont pas cherché à constituer cette force alors que, s'ils l'avaient tenté, ils auraient largement contrebalancé l'état d'esprit antiouvrier de certains animateurs de " Plus jamais ça ". Mais ils ont plutôt cherché à dédouaner Total, en parlant " de chimie sécurisée ". Pourtant, comment des dizaines de milliers de personnes victimes de l'explosion pourraient-elles croire encore à " une chimie sécurisée " par les capitalistes, quand on leur explique que la sécurité était respectée scrupuleusement avant... que l'usine n'explose ?

Dans les usines du pôle chimique, les mêmes dirigeants syndicaux ont cultivé le chauvinisme d'entreprise, qui conduit aujourd'hui à cette impasse et à cette confrontation. Dans le dernier bulletin de Lutte Ouvrière distribué à AZF, Lutte Ouvrière exprimait son opinion contre cette politique nuisible en constatant : " Les dirigeants de l'Intersyndicale, main dans la main avec le directeur et le patronat local, se battent "pour la défense de la chimie". Mais ce n'est pas la chimie qui est attaquée, ce sont nos conditions d'existence à nous, comme à tous les travailleurs qui, chez eux, ont été victimes de l'explosion. Et qui nous attaque ? (...) Les capitalistes de la chimie. Alors, on n'est pas marié avec la chimie. (...) On aurait très bien pu se trouver à suer du profit pour pouvoir vivre de notre salaire, dans la métallurgie, le bâtiment ou ailleurs. La seule chose qui mérite d'être défendue c'est notre salaire... contre les patrons de la chimie ".

L'histoire n'est pas finie, bien sûr, car TotalFinaElf n'a pas encore donné de réponses sur l'avenir de l'usine et cultive encore l'incertitude sur ses intentions. Et la seule issue qui préserverait l'intérêt de tous serait l'union de toutes les victimes, salariés et sinistrés, contre Total et ceux qui le servent à tous les niveaux de pouvoir.

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