L'intérim : Une surexploitation à combattre22/03/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/03/une1756.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

L'intérim : Une surexploitation à combattre

C'est une première : un patron a été jugé et condamné cette fois en correctionnelle (et non pas par un tribunal de prud'hommes comme dans d'autres cas), pour " usage irrégulier de contrats de travail temporaire ". Le patron concerné c'est en fait Renault ! Le syndicat CGT qui s'est porté partie civile avait d'ailleurs aussi cité à comparaître le PDG Louis Schweitzer. C'est pour avoir employé à Renault-Sovab (Batilly) 950 intérimaires sur un effectif de 3000 salariés, sans justification de surcroît exceptionnel d'activité et sans respect du délai de carence, que le mardi 13 mars, le directeur de la filiale a été condamné à payer 1000 euros et la société 15 000 euros, Schweitzer ayant lui été écarté au bénéfice du doute. Sovab employait à certaines époques jusqu'à un tiers de l'effectif en intérim !

Lors d'un précédent jugement en prud'hommes sur la plainte de plus d'une centaine d'intérimaires, une soixantaine travaillant encore sur le site avaient obtenu leur embauche, et les autres des indemnités de licenciement abusif. Et en matière d'abus, Batilly n'est pas une exception chez Renault ! Ainsi, en octobre dernier, Renault-Cléon employait 1274 intérimaires pour 4700 salariés en CDI. A Renault-Douai, ce n'était pas moins de 1 000 intérimaires sur 6.000 salariés en septembre 2001. A la même date, le PDG de Renault Véhicules Industriels avouait entre 3 000 et 4 000 intérimaires.

Le reste de l'Automobile ne fait pas mieux : Peugeot déclarait 12 000 intérimaires sur 120 000 salariés. Le licenciement massif d'un millier d'intérimaires de Citroën Rennes (sur 11 000 salariés) il y a quelques mois, montre bien comment ce volant de travailleurs précaires permet de réaliser des réductions massives d'effectifs sans plan social. Ainsi l'année dernière Renault Rueil-Lardy a réalisé 14 % de baisse de ses effectifs intérimaires sans provoquer de remous dans le personnel et sans indemnisation des salariés.

Tous les moyens sont bons pour contourner la législation du travail, pour faire croire à des emplois temporaires même quand il est évident qu'il s'agit d'un recours systématique à l'intérim. Le syndicat CGT de Citroën Aulnay dénonce le fait que la direction se débrouille pour remplacer les intérimaires par d'autres intérimaires avant le délai légal des 18 mois. A la Sovab, la méthode était beaucoup plus élaborée et c'était carrément un logiciel qui suivait chaque emploi et chaque salarié pour calculer y compris les délais de carence entre deux emplois d'intérim sur le même poste. N'empêche !

Les intérimaires et les CDD sont évidemment les premiers concernés par les réductions d'emplois, les fermetures de sites et les cessions d'usines. Mais, dès avant l'annonce de mesures de restructurations drastiques, plusieurs grands groupes ont mis fin brutalement à ces emplois précaires. Conséquence de la crise des télécommunications, la Sagem a renvoyé 2000 intérimaires, dont plus d'un millier de son unité de Fougères (Ille-et-Vilaine) et 800 de Montauban (Tarn-et-Garonne), sur un effectif permanent de 16 000 salariés. Philips, qui projette la suppression de 1200 emplois dans l'Hexagone a, selon la CGT, déjà mis fin à 900 postes d'intérim.

Les intérimaires ainsi que les salariés en contrat à durée déterminée (CDD) sont, comme lors des crises précédentes, les premières victimes du coup de frein amorcé dans quelques grands secteurs industriels. Les statistiques de juillet 2001 révèlent que ces deux catégories de salariés représentent une part non négligeable des 39 600 nouveaux inscrits à l'ANPE (Le Monde du 1er septembre 2001). Alors que la part des licenciements dits économiques (18 076 personnes) était en hausse de 4,7 % en un mois, celle des fins de CDD (106 003 personnes) subissait une aggravation de 27,3 % et celle des fins de mission d'intérim (39 867 personnes) de 10,3 %. Celles-ci ont augmenté de 40,4 % en un an.

Avec la montée du chômage, l'intérim a changé de caractère. De relativement marginal il est devenu une méthode systématique de pré-embauche allongeant sans contrôle la période d'essai et une manière d'entretenir un volant de futurs licenciés. De 1984 à 1999, le nombre d'intérimaires est passé à l'échelle nationale de 100 000 à 600 000.

Précariser les jeunes, diminuer les salaires, remettre en question les conditions de travail, flexibiliser le travail et l'adapter aux aléas de la production, licencier sans payer d'indemnités, employer des salariés sans avoir à respecter les acquis des salariés de l'entreprise sont les mille et un avantages de l'intérim pour les patrons.

Théoriquement le travail intérimaire est encadré par la loi. Encore faudrait-il que le respect des règles soit au moins imposé aux patrons par les salariés ou par leurs organisations. En ce qui concerne les salariés intérimaires, leur court passage dans l'entreprise, l'absence d'information claire sur les contrats précédents et le manque d'organisation rendent difficile leur mobilisation. La situation de ces salariés les conduit à espérer un nouveau contrat temporaire, ce qu'ils mettent en balance avec le risque que leur ferait courir toute action, même juridique, contre leurs employeurs. Quant aux organisations syndicales, elles disposent d'autres moyens. Mais c'est plutôt exceptionnellement qu'elles relèvent et attaquent l'utilisation de l'intérim pour des emplois fixes, même si l'abus est patent lorsque le délai de carence n'a pas été respecté. Le cas de syndicats intervenant ne serait-ce que sur le seul terrain juridique, comme à Sovab-Batilly, n'est malheureusement pas si fréquent. Il mérite d'être porté à la connaissance du plus grand nombre de travailleurs, et bien sûr imité.

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