Toulouse : Pour les sinistrés des quartiers populaires, le scandale continue11/01/20022002Journal/medias/journalnumero/images/2002/01/une-1746.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Toulouse : Pour les sinistrés des quartiers populaires, le scandale continue

Presque 4 mois après l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, des dizaines de milliers de sinistrés continuent à vivre dans leurs appartements dévastés, avec des calfeutrages de fortune aux fenêtres. Et leur vie quotidienne continue à être rythmée par d'interminables démarches indispensables pour faire valoir des droits pourtant élémentaires.

Canalisations gelées

Ce sont les 130 familles relogées dans les mobile-homes qui ont passé les plus mauvaises fêtes. Les canalisations ont gelé et les familles ont passé le premier week-end des fêtes sans eau ! La température au sol était de 5°, malgré tous les radiateurs à fond. Le responsable de la Sonacotra qui gère les mobile-homes a déclaré que ceux-ci auraient dû résister à -20°. Certes, mais par économie les mobile-homes ont été montés sans la résistance qui empêche que l'eau gèle dans les tuyaux ! Résultat : trois jours sans eau. Il n'est pas difficile d'imaginer ce que peut être la vie d'une famille nombreuse avec des enfants en bas âge, quand on est loin de tout, dans des banlieues mal desservies, et qu'on ne peut même pas laver les gamins.

Et bien sûr, il n'y a aucune perspective de relogement à court terme : " Vous resterez là le temps nécessaire... " a été la réponse définitive du sous-préfet à la ville. Pour les autres sinistrés, ceux qui ont la " chance " de continuer à habiter chez eux, pendant les fêtes de fin d'année, les autorités ont beaucoup fait... pour leur faire oublier la situation dans laquelle ils vivent. Arbre de Noël, distribution de jouets, séjours à la montagne pour les enfants, et même deux jours tous frais payés à Disneyland. Pas pour tout le monde bien sûr, juste assez... pour pouvoir faire un article dans La Dépêche du Midi. Et quand on veut s'inscrire, ça ne va jamais : on n'est pas du bon quartier, on a des revenus trop importants (le SMIC, c'est déjà beaucoup trop !), il n'y a que dix places, etc.

Et dans le genre esbroufe, le maire Douste-Blazy a battu tous les records. Il avait demandé à tous les Toulousains de manifester leur solidarité avec les sinistrés en allumant une bougie sur leur fenêtre pour le 24 décembre. Il avait fait distribuer à cet effet des milliers de bougies dans les bureaux de tabac. Mais patatras ! L'opération a fait un flop retentissant, au point que les reportages prévus ont été annulés !

Travaux en souffrance

Le quotidien consiste donc à vivre dans des appartements toujours dévastés, avec des murs descellés, les portes intérieures qui ne ferment plus, et des contreplaqués aux fenêtres. Le quotidien, c'est aussi continuer à remplir des papiers et à solliciter des pièces pour faire des dossiers.

Ainsi pour la taxe mobilière, il n'y a aucune mesure globale et systématique. Pour obtenir un dégrèvement, il faut en faire la demande et... remplir un dossier. Dans ce dossier, il faut fournir une déclaration de sinistre et un devis des travaux. Si on est locataire, il faut obtenir ces pièces de son propriétaire, et nombre d'entre eux sont injoignables. Et si les propriétaires veulent rendre ce service, ils doivent eux-mêmes obtenir ces pièces auprès du syndic de l'immeuble, lui-même complètement dépassé par les événements. Autant dire que ce sont des heures et des heures passées au téléphone, ou à attendre dans des couloirs pour obtenir une réparation largement inférieure au préjudice subi.

Du côté des travaux, rien de nouveau. Les seuls travaux réellement effectués, et gratuitement conformément aux promesses, sont ceux de " mise hors d'air et mise hors d'eau ". Les bâches sur les toits, le contreplaqué ou le plexiglas à la place des fenêtres. Le fameux provisoire qui dure.

Pour les travaux définitifs, dans les quartiers populaires, c'est le calme plat. A la Cité du Parc, par exemple, sur les 200 appartements qui n'ont pas été évacués, les fenêtres définitives n'ont été changées que dans 20 appartements. Des entreprises qui s'étaient engagées se dérobent sous des prétextes divers : rupture de stocks, manque de personnel ou congés. Des entreprises ont signé bien plus de devis qu'elles ne peuvent en faire : alors elles sous-traitent. Les ouvriers doivent travailler très vite, et souvent sans le matériel nécessaire. Par exemple, dans une copropriété, ce sont des ouvriers marseillais qui sont venus poser les fenêtres, ils dorment à huit dans la loge non chauffée du concierge, et ils mangent des sandwichs sur place. Les malfaçons sont nombreuses, et il est quasiment impossible de les faire constater, et encore moins d'obtenir que les travaux soient refaits correctement.

En fait, les entreprises sérieuses n'ont pas grand intérêt à venir travailler pour les sinistrés des quartiers pauvres. D'abord, le secteur du bâtiment n'a pas besoin du marché supplémentaire de la catastrophe AZF. Ensuite, il y a les difficultés de paiement, les assurances rechignant à compléter après la première avance de 30 % de la facture. Et surtout il y a de gros risques professionnels : le sol ayant tremblé, et tous les jours de nouveaux dégâts apparaissent. Or dès qu'un artisan est intervenu sur un chantier, il est pénalement responsable des vices cachés qui surviennent après son intervention.

Là encore l'Etat aurait dû intervenir, non seulement pour avancer les fonds nécessaires mais aussi pour donner sa garantie contre les vices cachés, quitte à se faire rembourser par la suite par TotalFinaElf.

Les sans-fenêtres se manifestent

Le collectif des sans-fenêtres continue à se réunir toutes les semaines, et à manifester pour faire connaître le plus largement possible la situation des sinistrés, comme le 21 décembre, trois mois après l'explosion, où des sinistrés ont bloqué un pont dans le quartier du Mirail. Le lendemain, le collectif a déposé quelques fenêtres fracassées place du Capitole. Le 21 janvier, quatre mois après l'explosion, il se manifestera à nouveau, pour qu'enfin cesse ce scandale. Le collectif réclame encore et toujours une intervention résolue des pouvoirs publics pour les travaux.

Invité par France Inter à l'émission du Téléphone sonne avec le directeur délégué de TotalFinaElf, le porte-parole des " sans-fenêtres " a pu dénoncer l'attitude criminelle du trust, sa responsabilité absolue dans l'accident, et exiger que TotalFinaElf assume ses fautes en garantissant leurs revenus à tous les salariés du site, et en remboursant tous les dégâts directs et indirects qu'ont pu subir les sinistrés.

Le directeur délégué de TotalFinaElf a assuré, hors antenne, qu'il était prêt à payer tout ce qu'il faudrait. Il a d'ailleurs donné au représentant des " sans-fenêtres " son numéro de téléphone portable pour l'informer sur les moindres dysfonctionnements. C'est ce qui a été rapporté fidèlement à la réunion du collectif des sans-fenêtres qui a suivi. De nombreux participants ont promis de faire bon usage de ce numéro de téléphone " magique ". Vu la situation, il y a fort à parier que le directeur délégué de TotalFinaElf change vite de numéro...

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