Il y a 20 ans (Décembre 1981) : Jaruzelski prenait le pouvoir en pologne24/12/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/12/une-1744.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

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Il y a 20 ans (Décembre 1981) : Jaruzelski prenait le pouvoir en pologne

Il y a un peu plus de vingt ans, au matin du 13 décembre 1981, la Pologne se réveillait sous la loi martiale. Dans la nuit, l'armée s'était déployée dans tout le pays, avait barré les routes, coupé les communications téléphoniques, et les arrestations de membres et de dirigeants du syndicat Solidarité avaient commencé. Le général Jaruzelski, membre du POUP, le PC polonais, annonçait que "l'état de siège était instauré", pour "sauver la Pologne du gouffre", des "grèves et des actions de protestation".

La proclamation de cette loi martiale était le résultat de la crainte, de plus en plus forte, parmi les couches dirigeantes du pays, de voir se développer un mouvement ouvrier qui ne faisait que gagner en force et en expérience.

La formation de Solidarité

Car en Pologne, les grèves de 1970, puis celles de 1976, puis celles d'août 1980 avaient amené la formation d'un syndicat, clandestin pendant des années, qui pouvait, après août 1980, annoncer dix millions de membres. Des millions de travailleurs venaient de vivre des mois où, en créant des sections de Solidarité, ils avaient appris à s'organiser, à rédiger des tracts, des affiches, à trouver les moyens de les imprimer, de les diffuser. Des dizaines de milliers de dirigeants ouvriers locaux, anonymes, s'étaient formés pendant les mois qui précédèrent l'état de siège. L'été 1980 avait vu plier le gouvernement, sous le poids d'une vague de grèves puissantes. Et dans l'euphorie de la victoire, des millions de gens, issus de toutes les couches sociales, des paysans aux étudiants, s'organisaient, faisaient de la politique, avec pour centre de gravité ce mouvement de la classe ouvrière.

C'est cela que craignaient les instigateurs du coup de force de décembre 1981. Pas la politique de la direction de Solidarité. Celle-ci avait choisi, dès le début, de se placer sous le signe d'idées réactionnaires, ouvertement nationalistes, cléricales, cachant sous la revendication volontairement floue de "démocratie" son projet de ramener la Pologne dans le giron des grandes puissances occidentales. Si, dans les années vingt, le dictateur Pilsudski pouvait dire qu'il "était descendu du tramway rouge à la station indépendance", résumant ainsi son passage du mouvement socialiste au nationalisme, Walesa, qui tentait de lui ressembler aurait pu dire, lui, qu'il n'avait jamais quitté la station nationalisme et religion. Mais les dirigeants de Solidarité surent utiliser la force de combat de la classe ouvrière comme levier de leur lutte, et c'est cela qui posait problème aux couches dirigeantes polonaises de l'époque.

Les capacités de résistance de la classe ouvrière intactes

Dès le lendemain du coup de force, des tentatives de résistance eurent lieu, en particulier dans les mines de charbon. La direction de Solidarité comme celle de l'Eglise appelèrent les travailleurs à ne pas résister. Pourtant, disloquer l'armée, réduire à néant l'état de siège auraient peut-être été dans les possibilités d'un mouvement aussi massif que Solidarité, dont les dix millions de membres avaient des liens, des ramifications familiales, personnelles, avec la multitude des soldats du rang chargés de les museler. Mais la direction de Solidarité, anti-soviétique, nationaliste, n'y avait jamais préparé ses membres. Et elle ne s'aventura pas sur ce chemin, celui de la dislocation de l'appareil d'État, qui aurait pu provoquer parmi les travailleurs une prise de conscience dangereuse pour les couches dirigeantes polonaises et pour l'avenir que préparaient les dirigeants de Solidarité.

Si la direction de Solidarité fut arrêtée, Walesa compris, et si certains d'entre eux payèrent le coup de force de sévices, ceux qui subirent le plus lourdement la répression furent les dizaines de milliers de militants ouvriers locaux, emprisonnés dans les conditions les plus dures, un an, deux ans, ou plus, selon que le régime réussissait ou pas à les briser physiquement et moralement.

De la dictature de Jaruzelski au gouvernement de solidarite

Le tournant vint en 1986 : Gorbatchev accéda au pouvoir en URSS, le gouvernement polonais finit par libérer les détenus politiques, le FMI fit savoir que l'adhésion de la Pologne pouvait être envisagée. En 1987, Jaruzelski rendait discrètement visite au pape, et le pape se rendait triomphalement en Pologne en juin 1987. Puis, après une vague de grèves, essentiellement déclenchées par une nouvelle génération de jeunes militants, au printemps et à l'été 1988, au cours desquelles Walesa joua selon ses propres termes le rôle de "pompier", prêchant la patience aux ouvriers, les accords de 1989 mettaient en place le scénario de la fin du monopole du pouvoir du POUP : des élections pour une partie des sièges de l'assemblée furent gagnées haut la main par Solidarité qui, durant l'été 1989, prenait la tête du gouvernement.

Depuis, les travailleurs polonais ont vu, grandeur nature, ce que signifiaient les choix politiques de Solidarité : l'apparition du chômage, la hausse incessante des prix, la privatisation d'une partie des entreprises, pour ne citer que cela, qui laissent le mode de vie d'Europe occidentale, apparu lui aussi en Pologne, à la portée seulement d'une mince couche sociale dirigeante.

Des milieux non ouvriers de Solidarité, comme des rangs de leurs anciens adversaires du POUP, est sortie une couche nouvelle d'entrepreneurs et de notables de l'appareil d'Etat. De 1989 à aujourd'hui, le pouvoir politique a oscillé, de Solidarité à l'ex-PC, en passant par des périodes d'opposition comme de cohabitation des deux. Et il est significatif qu'aujourd'hui, beaucoup de ceux qui ont soutenu Solidarité en viennent à voter pour ceux qui sont issus du mouvement qui les réprimait.

Aujourd'hui, Jaruzelski passe en procès, non pour les événements de 1981, mais pour son rôle dans la répression sanglante des grèves de 1970... ce dont, en Pologne, tout le monde se moque. Car la seule chose finalement marquante de tout cela, c'est qu'il y a eu, il y a à peine vingt ans, en Europe, une classe ouvrière qui a su se faire craindre, et qui n'a manqué que d'une chose, essentielle il est vrai, d'une organisation politique à la hauteur de ses capacités de lutte.

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