États-Unis : La faillite du groupe Enron... et la démence du système capitaliste07/12/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/12/une-1742.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : La faillite du groupe Enron... et la démence du système capitaliste

Dimanche 2 décembre, la société Enron s'est placée sous la protection du "chapitre 11", équivalent nord-américain de la procédure de redressement judiciaire, une formule qui lui permet de poursuivre ses activités tout en cherchant un compromis avec ses créanciers. Ses dettes représenteraient un total de 235 milliards de francs, une somme inférieure à la somme en jeu lors de la faillite des caisses d'épargne américaines de 1990, mais qui ne concerne qu'une seule entreprise contre quelque 500 caisses d'épargne à l'époque.

L'entreprise texane Enron jouait un rôle d'intermédiaire, ce qu'on appelle aux États-Unis une "compagnie marketing", entreprise de courtage qui ne produit ni ne distribue aucun produit, mais en achète pour en revendre en prélevant sa dîme au passage, activité parasitaire par excellence. Sa spécialité initiale était l'achat et la revente d'électricité et de gaz naturel. Elle y avait ajouté des activités spéculatives sur les marchés financiers, des activités d'assureurs, du négoce de bois, de la fourniture d'eau et, comme beaucoup d'autres, s'était lancée dans la télécommunication et internet.

Avec la dérégulation de l'électricité amorcée en Californie, qui a entraîné toute une spéculation sur le prix de l'électricité, les résultats d'Enron avaient crevé le plafond. Entre 1997 et 2000, ses profits avaient triplé. Les prix de l'électricité atteignant des montants phénoménaux, Enron avait réussi à décoller pour devenir la septième plus importante entreprise de l'ensemble des Etats-Unis et le leader mondial du négoce d'électricité. Son PDG, Kenneth Lay, considéré depuis deux décennies comme un "messie" de l'énergie, proche de la famille Bush, s'était accordé l'équivalent de 53 millions de francs de prime en 2000, contre "seulement" 30 millions l'année d'avant. Une partie de ces sommes avaient servi à financer la campagne de l'actuel président des États-Unis.

C'est l'annonce d'un déficit de près de 5 milliards de dollars, le 16 octobre dernier, déficit produit par des opérations financières douteuses, qui a entraîné la chute de l'action Enron à la Bourse de New York. En un an, elle est passée d'environ 635 francs à moins de 2 francs !

Tandis qu'Enron se livre à une bataille de chiffonniers avec son concurrent Dynergy qui avait envisagé de la racheter, ce qui aurait permis aux actionnaires d'Enron de tirer leur épingle du jeu si Dynergy ne s'était pas finalement désisté, d'autres entreprises sont intéressées par la reprise de certaines activités d'Enron dont elles espèrent pouvoir tirer encore des profits. EDF et le groupe Suez sont sur les rangs. Mais, d'ores et déjà, ce sont les employés d'Enron qui payent la casse. Des milliers de licenciements sont à l'ordre du jour aux États-Unis et, déjà, les 5 000 salariés d'Enron employés en Europe sont placés sous contrôle judiciaire depuis le 29 novembre.

D'autres menaces se profilent derrière cette faillite. Enron approvisionnait ses clients en énergie, en bois, en papier et en eau et les assurait des risques de variation des prix. Enron alimentait des usines sidérurgiques, des producteurs de verre, des centres commerciaux, des collectivités locales ou des journaux, dont le prestigieux New York Times, à qui Enron garantissait un prix stable pour son papier. Toutes ces entreprises vont devoir, au mieux, se réorganiser. Au pire, elles vont vivre à leur tour des difficultés. Le secteur des assurances est touché également. Celles qui garantissaient les opérations d'Enron risquent de perdre 15 milliards de francs. Des banques avaient prêté des milliards à Enron sans trop y regarder. Pour elles, le risque de perte grimpe à 150 milliards de francs, avec l'éventualité de ne pas revoir la couleur de 20 à 40 % de leurs créances.

Enfin, cerise sur le gâteau, la crédibilité de Wall Street est mise en cause. Des opérations financières mal contrôlées auraient dissimulé des opérations illégales. Le fameux cabinet de consultants Arthur Andersen, qui avait approuvé les comptes d'Enron l'an dernier, fait maintenant l'objet d'une enquête de l'équivalent américain de la COB, la commission SEC chargée de gendarmer les échanges sur le marché américain. Il se pourrait en effet que la faillite annoncée soit plus importante en fait, car les dirigeants d'Enron sont soupçonnés d'avoir dissimulé des pertes et des dettes. On évoque aussi des rémunérations, sous la forme de services gratuits, dont auraient profité des hauts cadres de la part de filiales du groupe.

Etant donné l'opacité de cette firme, un mode de fonctionnement pourtant traditionnel dans la vie des entreprises et pas seulement aux Etats-Unis, la Maison-Blanche, comme pour se prémunir, a tenu à rappeler que l'actuel vice-président des Etats-Unis Dick Cheney, le secrétaire aux Armées Thomas White, lui-même ancien dirigeant d'Enron, et le conseiller Karl Rove, avaient vendu leurs actions Enron au début de l'année pour ne pas être accusés de favoriser cette firme. Vente effectuée avant la faillite, donc. Heureuse coïncidence.

La faillite d'Enron constitue en tout cas une illustration, à l'échelle d'une seule entreprise, mais de taille, de ce que le système capitaliste peut entraîner lorsqu'il tombe en faillite. L'écroulement du château de cartes bâti sur la spéculation financière peut très vite déboucher sur des licenciements massifs du personnel des entreprises concernées, voire paralyser les échanges de produits, non plus spéculatifs mais bien réels, au risque de priver l'ensemble de la population des services les plus indispensables, fourniture d'eau, d'énergie, etc. Et la démence furieuse du système capitaliste en crise ne laisse d'autre solution que de l'abattre.

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