L'Argentine dans la crise19/10/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/10/une-1735.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Dans le monde

L'Argentine dans la crise

Quelques semaines avant l'élection, le 20 septembre dernier, le ministre argentin de l'Economie, Domingo Cavallo, avait admis dans un programme d'une chaîne de télévision : "Le pays est mal en point, la situation est très difficile. Les gens qui protestent ont des raisons de le faire, parce que cela va mal, il y a beaucoup de chômage, les revenus des familles sont gelés et leurs perspectives négatives". Venant de celui qui prétend tenir fermement les guides de l'économie, c'est un aveu de la profondeur de la crise.

La récession qui dure depuis trois ans en Argentine a conduit une fois de plus le pays au bord de la faillite financière. Elle a entraîné l'augmentation du chômage et plongé, en quelques mois, des centaines de milliers de personnes dans la misère. Des chômeurs organisent des marches de la faim, barrent les routes, s'affrontent avec la police et tentent de mettre sur pied un mouvement national de protestation. Conjointement ou parallèlement, les centrales syndicales protestent contre la baisse des salaires des employés de l'Etat et les attaques contre les pensions des retraités.

L'équipe gouvernementale, l'Alliance, que préside le président Fernando De la Rua, a été mise en difficulté dès son arrivée aux affaires par une affaire de corruption mettant en cause le Parti Radical, parti dirigeant de l'Alliance. Elle s'est conclue par la démission du vice-président Chaco Alvarez (principale figure publique du Frepaso), qui tenait ainsi à ménager son avenir personnel. L'ex-président de la République, le péroniste Carlos Menem, est en prison à la suite d'une affaire de ce genre. Cette corruption frappe tous les milieux dirigeants du pays.

Un endettement croissant

En moins de deux ans, le président De la Rua en est à son troisième ministre de l'Economie et à sept plans d'austérité. Même si les banquiers du Fonds Monétaire International (FMI) ont accepté de lui accorder une aide financière de près de 40 milliards de dollars et la conversion d'une partie de sa dette (30 millions de dollars), l'économie argentine reste au bord du gouffre.

Les deux derniers plans d'austérité, mis en place par Cavallo, avec notamment une baisse de 13 % des salaires des employés de l'Etat et des pensions des retraités, n'ont pas permis de desserrer le collet qui étrangle l'économie argentine. Celle-ci est prise en tenaille entre une récession et le poids croissant de l'endettement. L'équilibre économique, précaire, dépend désormais d'emprunts aux banquiers de la planète, que Cavallo lui-même qualifie de "ruineux", avec des taux d'intérêt qui varient entre 20 et 30 %. Ces emprunts empêchent pour le moment la banqueroute et, bien sûr, permettent aux actionnaires du secteur privé de continuer de prélever leur dîme sur un pays exsangue, cela à un coût exorbitant pour l'ensemble de la population, celui des intérêts versés aux établissements de crédit.

Le gouvernement a obtenu, en août, un nouveau prêt de 8 milliards de dollars sur la recommandation du FMI, bien obligé de soutenir une économie dont la faillite pourrait entraîner d'autres pays d'Amérique latine ou d'Asie. Mais l'endettement vertigineux impose autant de nouveaux sacrifices à la population laborieuse en aggravant des conditions d'existence qui, avant cette récession et cette nouvelle crise financière, étaient déjà très difficiles.

La paupérisation des masses populaires

Le taux de chômage est officiellement de 16,4 %. Mais si on prend en compte le nombre de personnes qui n'ont pas un emploi à temps plein (dans un pays où pour vivre correctement il faut souvent cumuler deux emplois), il faut doubler ce pourcentage pour avoir une idée de la dégradation des conditions de l'emploi. Et bien entendu, le chômage officiel est plus élevé encore dans une des régions très ouvrières du pays comme la province du Grand Buenos Aires, où se concentre le tiers de la population du pays. Là, quatre personnes sur dix n'ont pas un emploi permettant de vivre décemment. D'autre part, entre décembre 2000 et mai 2001, le nombre des pauvres est passé de 3,7 millions à 5,2 millions ; plus de 8 000 nouveaux indigents par jour. La moitié d'entre eux sont des jeunes de moins de 18 ans.

C'est ce qui nourrit la révolte des chômeurs qui a pris de l'ampleur depuis novembre dernier, avec les premiers barrages de routes par des groupes de chômeurs, les piqueteros. Tout au long de l'été, les chômeurs ont multiplié les barrages routiers. On assiste aussi à des marches de la faim. Chômeurs et marcheurs ont reçu, outre le soutien de l'extrême gauche, celui de l'Eglise et l'appui de la CTA, celle des trois centrales syndicales qui organise principalement les enseignants et les travailleurs de l'Etat.

Devant ce mécontentement social, le gouvernement De la Rua a oscillé entre la répression pure et simple, ce que lui demandait l'aile la plus réactionnaire du patronat, et des tentatives d'intimidation pour freiner le mouvement. Le gouvernement est d'autant plus hésitant que son allié, le Frepaso, préférait une gestion en douceur du mouvement des chômeurs. De la Rua est également contesté au sein de son propre parti.

Un gouvernement contesté

Mais les choix du gouvernement de réduire les dépenses entrent aussi en conflit avec les intérêts des gouverneurs des provinces. La majorité d'entre eux appartiennent à l'opposition péroniste. Depuis toujours, les gouverneurs péronistes entretiennent des relations de type clientéliste avec leur électorat. Ils ont donc vu d'un mauvais oeil, à la veille d'une nouvelle élection, d'apparaître comme des relais de l'austérité prônée par le gouvernement et qui frappe les classes pauvres et donc une partie de leurs électeurs. Alors que le gouvernement parle de rigueur budgétaire, refuse de dévaluer, le gouverneur péroniste de la province de Buenos Aires, à court d'argent pour payer les salaires des employés de la province, a lancé les patacones, des bons qui ressemblent à des billets et dont la valeur est exprimée en peso, valant un dollar.

Les traitements sont donc payés en partie en argent et pour le reste avec cette monnaie de perlimpinpin. Pour favoriser sa circulation qui rencontrait au départ de la méfiance de la part des entreprises ou des commerçants, il a été convenu qu'il leur est possible de payer leurs impôts avec cette monnaie, qui s'étend maintenant dans le pays. Et ces bons - sorte de dévaluation déguisée - se sont répandus dans la moitié des 24 provinces du pays. Le succès des péronistes encouragera sans doute maintenant les gouverneurs à tenir encore moins compte des injonctions d'un gouvernement qui sort de l'élection encore plus affaibli. Pour le moment, la crise politique pourrait donc s'approfondir, en attendant peut-être qu'un gouvernement péroniste poursuive la politique menée aujourd'hui par De la Rua.

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