Sécurité : L'État laisse les mains libres aux patrons12/10/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/10/une-1734.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Leur société

Sécurité : L'État laisse les mains libres aux patrons

Depuis l'explosion de l'usine AZF de Toulouse, les pouvoirs publics semblent montrer - montrer seulement - un peu plus d'intérêts pour les conditions de stockage du nitrate d'ammonium. Des inspections impromptues dans les usines ont révélé - un peu tard - que des stocks importants étaient entreposés au petit bonheur : ici à côté d'une cuve d'hydrocarbures, là dans un hangar non autorisé, ailleurs sur des palettes inflammables. On a découvert que des ports où les cargos déchargent régulièrement ce produit ne disposaient pas de bouches à incendie avec une pression suffisante. La presse a même rapporté quelques-uns de ces faits. Bref, pour une fois a été rendu public ce que les travailleurs savent d'expérience : pour les patrons la sécurité est le cadet de leurs soucis, et venir travailler dans une usine utilisant des produits dangereux signifie y risquer sa vie. Mais comme après chaque grande catastrophe, passée la période d'émotion, tout risque de retomber dans l'opacité la plus totale, laissant les mains libres aux industriels.

Car les hommes au pouvoir ne veulent à aucun prix exercer une contrainte sur les propriétaires d'usines, pas plus en matière de sécurité que dans les autres domaines. Depuis l'explosion de Toulouse, on nous rebat les oreilles avec la "directive Seveso", et même "Seveso 2", soi-disant plus contraignante encore. Mais que prévoit l'application de cette fameuse directive européenne en France ? Simplement que les patrons des usines classées à haut risque doivent transmettre au préfet et aux services de l'État chargés de la sécurité industrielle, les DRIRE, la liste des substances dangereuses, et leur indiquer les risques d'accident majeur ainsi que la politique qu'ils entendent mettre en oeuvre en matière de prévention. Mise à part l'obligation d'accoucher de ces quelques documents, seul est prévu "l'objectif", une inspection annuelle de ces sites jugés à très hauts risques, sur la base des informations fournies par leur propriétaire. C'est cela, la réglementation la plus "contraignante" en matière de sécurité ! Voilà ce qu'en Europe on a jugé le maximum à faire pour empêcher d'autres Seveso, cette ville italienne où en 1976 des dizaines de milliers de personnes avaient été intoxiquées par un nuage nocif émanant d'une usine. Et même ces vérifications homéopathiques ne peuvent être vraiment effectuées, faute d'un personnel en nombre suffisant. 870 fonctionnaires en tout et pour tout sont affectés au contrôle de 500 000 installations en France. Autant dire que ce contrôle est tout théorique, et se borne le plus souvent à la lecture des documents que l'entreprise daigne bien fournir et à quelques visites ayant bien peu de chances de porter sur les endroits vraiment dangereux. Au bout du compte, les propriétaires de ces entreprises stockant de véritables bombes sont moins étroitement surveillés que n'importe quel automobiliste, dont le véhicule doit subir un contrôle technique pour lequel on ne se contente pas de déclarations ! Et même en cas d'infraction, pas question d'obliger les patrons à régulariser la situation. La majorité des procès-verbaux transmis à la justice à l'issue d'une inspection où ont été constatés des manquements graves sont classés sans suite.

Autant dire que tous ceux qui veulent, après Toulouse, ne voir "plus jamais ça" ont tout intérêt à ne pas s'en remettre aux pouvoirs publics. Ce sont les travailleurs des usines dangereuses, la population des quartiers alentours, qui seuls peuvent contrôler ces assassins en puissance que sont les capitalistes, et les empêcher de nuire. A condition que les lois et les règlements leur laissent la liberté de tout révéler sans crainte de représailles. C'est cela aussi qu'il faut imposer : le contrôle oui, et le droit de rendre ses résultats publics. Cela serait bien plus efficace que des équipes de contrôleurs qui n'ont ni les moyens humains, ni la liberté de faire et de dire.

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