Afghanistan : Une intervention odieuse, et qui ne peut rien régler12/10/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/10/une-1734.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Dans le monde

Afghanistan : Une intervention odieuse, et qui ne peut rien régler

Au lendemain du début des bombardements américains sur l'Afghanistan, les manifestations au Pakistan, mais aussi à Gaza ou au Caire, témoignent des tensions que l'intervention impérialiste pourrait entraîner dans nombre de pays arabes et musulmans.

Au Pakistan, toutes les grandes villes du pays ont été, lundi 8 octobre, le théâtre de violentes manifestations, qui se sont heurtées aux charges policières et aux tirs de grenades lacrymogènes et parfois de balles réelles. A Quetta notamment, grande ville pakistanaise proche de la frontière afghane, des manifestants ont mis à sac des banques, une galerie marchande, incendié des véhicules de la police. Les organisations intégristes islamistes qui ont pris la tête des manifestations aux cris de "à mort Bush !" et "vive Ben Laden !" répondent de toute évidence à une émotion de l'opinion, choquée par le bombardement du pays voisin et par le fait que le gouvernement pakistanais ait pris le parti de la coalition constituée autour des Etats-Unis.

Mais c'est à Gaza, en territoire autonome palestinien, que la situation s'est révélée la plus tendue. Des manifestants, souvent très jeunes, cherchant à rejoindre le bâtiment du Conseil législatif palestinien pour protester contre la prise de position d'Arafat en faveur de la coalition occidentale, ont essuyé les tirs de la police palestinienne. Celle-ci a fait deux morts, deux jeunes Palestiniens de 13 et 21 ans.

C'est la première fois que la police de l'Autorité palestinienne a ainsi fait couler le sang dans sa propre population, et ce fait ne peut qu'accentuer encore l'isolement d'Arafat. Alors que chaque jour Sharon et l'armée israélienne multiplient les provocations à l'égard des Palestiniens, les concessions faites par celui-ci apparaissent comme des concessions gratuites à l'occupant israélien et à son protecteur américain, sans que ni l'un ni l'autre ne reconnaissent en quoi que ce soit les droits des Palestiniens.

Des sentiments nourris par la misère

Les sentiments anti-américains qui existent dans une grande partie des pays du Tiers Monde, et en particulier au Moyen-Orient, ne reposent pas sur rien. Ils s'enracinent dans la misère croissante, dans l'exploitation éhontée de l'économie et des populations par les trusts occidentaux ou leurs représentants. Mais ils se nourrissent aussi de la désormais longue histoire des interventions impérialistes, du rôle joué par les armées occidentales au Liban, ou lors de la guerre du Golfe, du débarquement en Somalie ou par exemple du bombardement d'une usine par les avions américains au Soudan, en 1998.

Et puis aussi et surtout, chaque jour les populations du Moyen-Orient peuvent voir le traitement infligé par l'armée israélienne à tout un peuple, le peuple palestinien, spolié, réprimé, humilié, à qui cette armée d'occupation protégée par les Etats-Unis continue de nier le droit le plus élémentaire à une existence nationale et qu'elle plonge chaque jour un peu plus dans le désespoir.

"L'ennemi public n° 1" désigné par les dirigeants des Etats-Unis, Oussama Ben Laden, a su choisir le début des bombardements américains, dimanche 7 octobre, pour sortir de sa réserve et revendiquer à sa façon les attentats du 11 septembre. Se félicitant que ce jour-là "Dieu ait dirigé les pas d'un groupe de musulmans qui a détruit l'Amérique", déclarant que "ce que l'Amérique endure ne constitue qu'une infime partie de ce que nous (les musulmans) endurons depuis des dizaines d'années", constatant que "les enfants innocents sont jusqu'à aujourd'hui tués en Irak injustement sans que les dirigeants et sultans (arabes) ne bougent", il a conclu en jurant "par Dieu", "que l'Amérique ne connaîtra plus jamais la sécurité avant que la Palestine ne la connaisse".

Peu importe de savoir s'il existe ou non un lien entre Ben Laden et certaines organisations, palestiniennes ou autres. L'important est qu'il ait pu s'appuyer sur des sentiments, sur une haine et un désespoir que partagent une grande partie des masses populaires du Moyen-Orient et d'ailleurs. C'est parce que ces sentiments existent que des aventuriers comme lui, qui au départ n'étaient que des créatures de l'impérialisme, ayant bénéficié des fonds et des aides de services occidentaux, peuvent aujourd'hui se dresser contre les Etats-Unis et trouver un soutien populaire.

Une intervention sans issue

Alors, même si l'intervention américaine réussit finalement à mettre hors d'état de nuire un Ben Laden, elle ne fera qu'accroître encore ces sentiments, que semer un peu plus de ressentiment dans les masses, que donner encore un peu plus de possibilités à des groupes intégristes islamistes comme celui de Ben Laden ou comme d'autres de se présenter comme leurs uniques défenseurs et comme les seuls combattants décidés à se battre contre l'injustice dont elles sont victimes. Cela peut aboutir à l'écroulement de régimes comme le régime pakistanais, voire même celui de l'Arabie saoudite où le régime égyptien, compromis par leur alliance avec les Etats-Unis, et finalement déboucher sur une déstabilisation de toute la région.

En se livrant à leur démagogie, les groupes intégristes islamistes ne visent que leurs objectifs propres, qui sont de s'emparer du pouvoir ici ou là. Que ces fins, que cette démagogie religieuse, ne répondent aucunement aux besoins des masses pauvres, à leurs désirs de libération et d'émancipation, l'exemple du régime des taliban est là pour le montrer. Quant au mépris des masses dont fait preuve un Ben Laden, la méthode même choisie lors des attentats du 11 septembre, faisant des milliers de victimes n'ayant aucune responsabilité dans la politique du gouvernement américain, en est le témoignage. Si des intégristes comme lui ou d'autres s'emparent du pouvoir dans de nouveaux pays du Moyen-Orient, ce mépris se traduira par une nouvelle aggravation, un nouveau recul dans les conditions de vie des masses populaires de ces pays et l'accentuation de leur oppression.

Mais la principale responsabilité de cette situation, justement, n'appartient pas à ces intégristes. Ceux-ci ne font que tenter d'exploiter une situation créée par d'autres, et il ne suffira pas de mettre Ben Laden en prison pour y mettre fin. La principale responsabilité est celle du système de domination impérialiste, de cette misère, de ce dénuement dans lequel il enfonce une grande partie de la planète. Elle est celle de ses interventions militaires, de cet ordre mondial qu'il fait régner de la manière la plus cynique, en s'appuyant sur les forces les plus réactionnaires et les plus odieuses, quitte à chercher à abattre une de ses créatures quand celle-ci cherche à jouer son propre jeu.

Bush a promis au peuple américain une guerre longue contre le terrorisme. Elle risque d'être sans fin en effet, car défendre envers et contre tout la domination impérialiste aux quatre coins du monde peut signifier s'engluer dans une série d'interventions dont le seul résultat sera d'aggraver encore la situation et d'entraîner... d'autres interventions.

Et pour les masses déshéritées des pays pauvres, mais aussi pour les travailleurs, pour la population des pays plus riches d'Europe et d'Amérique, il ne peut y avoir d'autre issue, d'autre perspective, que de mettre fin à une organisation économique qui engendre une injustice insoutenable pour la grande majorité de l'humanité et qui, pour survivre, ajoute à cette démence économique la folie furieuse des bombardements, de la guerre et des massacres.

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