Toulouse : Usines dangereuses, l’accablante complicité des pouvoirs publics et des gouvernants28/09/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/09/une-1732.gif.445x577_q85_box-0%2C11%2C166%2C227_crop_detail.jpg

Leur société

Toulouse : Usines dangereuses, l’accablante complicité des pouvoirs publics et des gouvernants

Il aura fallu l'émotion considérable soulevée par les morts et les dégâts entraînés par l'explosion de Toulouse, pour que transparaisse la bienveillance des autorités publiques, chargées de la surveillance des sites dangereux, vis-à-vis des responsables de l'usine AZF. Loin d'être l'exception, c'est la règle.

Ainsi, les services de l'État, la Direction régionale de l'Industrie et de l'Environnement -la DRIRE- s'étaient contentés de notifier à la direction, lors de leur visite en mai, quelques interrogations sur la qualité de l'étude de danger réalisée par l'employeur. Malgré le classement "très dangereux" de l'usine, les services de la DRIRE ne s'étaient pas donnés la peine de visiter le stockage des centaines de tonnes de nitrate d'ammonium. Parce que la règle dans ce domaine, c'est de demander aux employeurs eux-mêmes de faire la part des risques qu'ils veulent bien reconnaître et des mesures qu'ils comptent prendre. Il faut des situations exceptionnelles pour que la DRIRE sorte de cette réserve. Cela revient à demander au criminel potentiel de déclarer lui-même ce qu'il doit faire pour éviter les risques qu'il provoque.

Les services de la DRIRE ont comme consigne officielle de ne pas compromettre la marche des entreprises. Les préfets sont là pour la leur rappeler au besoin. La DRIRE elle-même le rappelle quand elle transmet une étude de dangerosité aux organismes spécialisés. Ses services n'ignorent pas les mesures de protection nécessaires pour le stockage du nitrate d'ammonium, risques connus depuis les années 1920, à la suite d'une explosion en Allemagne qui avait fait des centaines de morts. Le stockage du nitrate d'ammonium répond à des règles distinctes, pour quasiment le même produit, suivant qu'il est classé comme engrais ou comme explosif potentiel. Quand il est classé potentiellement explosif, il doit répondre à des règles de confinement précises, en petite quantité. Mais c'est à l'employeur qu'on demande de choisir le classement. Or, il y a gros à parier qu'il choisira ce qui a le moindre coût pour lui.

Le classement Seveso des usines à risques n'a pas changé grand-chose pour les industriels. Bien souvent ce sont les gouvernants, par l'intermédiaire des préfets, qui en font supporter les conséquences aux populations elles-mêmes.

Cette complicité instituée aboutit par exemple quand une entreprise a entreposé des produits toxiques dans ses sous-sols, au risque d'empoisonner les populations alentour, à ce que la DRIRE fasse des prélèvements de sols bidon. Puis quand le scandale éclate, la préfecture fait injonction à l'entreprise de... rechercher elle-même les traces de ses enfouissements frauduleux. Bien souvent, on attend que l'employeur ait fermé l'usine pour faire enfin les carottages qui révèlent l'étendu du désastre.

Les services de l'Etat savent quelle est leur mission véritable : priorité à la protection des employeurs. Dans cet esprit, il y a quelque temps, ils se sont opposés à la transformation du statut du principal laboratoire de recherche sur les problèmes de risques industriels, l'INERIS, dans l'Oise. Toute une partie des chercheurs et certains de leurs syndicats réclamaient la fin de la tutelle du ministère de l'Industrie, pour devenir une Agence nationale chargée de la santé et de l'environnement, ce qui aurait comme conséquence de faire que tous les rapports de mission demandés par les pouvoirs publics, faits par l'INERIS sur ces problèmes seraient publics. Alors qu'aujourd'hui c'est le ministre de l'Industrie, et lui seul, qui juge s'il doit rendre ces rapports publics ou les garder secrets, même s'ils concernent des catastrophes comme le tunnel du Mont-Blanc.

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