Les centres d'appels : Une exploitation intolérable24/08/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/08/une-1727.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Les centres d'appels : Une exploitation intolérable

Les " demoiselles du téléphone " d'autrefois s'appellent aujourd'hui des " téléopératrices ", les lieux de leur exploitation sont des " centres d'appels " ou " plateformes d'appels ".

Dans ces centres d'appels, il ne s'agit plus d'aiguiller des communications d'usagers du téléphone, mais de répondre aux questions et demandes de " clients ", de les conseiller, de les démarcher, etc. On peut être " chargé de clientèle ", " téléconseiller ", " agent de télémarketing "...

Le développement des télécommunications en association avec l'informatique a entraîné la mise au point de systèmes qui permettent de gérer des centaines d'appels de clients, en les répartissant entre les employés de telle sorte que le temps de ces " opérateurs " soit utilisé avec le maximum de rendement. Là, les secondes comptent, et la productivité est prioritaire.

La catégorie globale des centres d'appels est hétérogène. Elle peut inclure les centres de renseignements des télécoms, nationaux et internationaux, ainsi que les centres consacrés aux activités nouvelles du secteur des télécoms comme la téléphonie mobile (centres Orange pour France Télécom, SFR pour Cegetel, ou Bouygues Télécom) ou les supports techniques pour les services de l'Internet (comme Wanadoo). Mais, si les centres d'appels ont connu, au cours des dernières années, un développement considérable dans nombre de secteurs de l'économie, au point d'employer quelque 150 000 personnes au moins à travers la France, c'est qu'ils intéressent le patronat : ces centres spécialisés offrent aux grandes sociétés la possibilité de faire gérer l'ensemble de leurs relations téléphoniques avec leur clientèle, soit sur une " plateforme " faisant toujours partie de la maison-mère, soit tout simplement en sous-traitant cette gestion à l'extérieur, un peu comme elles peuvent sous-traiter leur nettoyage, par exemple, à des conditions pour elles avantageuses parce que le personnel y est surexploité.

Et c'est ainsi que les centres d'appels peuvent s'occuper d'activités commerciales (les ventes par correspondance comme La Redoute, les 3 Suisses, la CAMIF), d'assurances, de services bancaires, de services de réservation de la SNCF ou de compagnies d'aviation, des ventes de promoteurs immobiliers, de garages, de fournisseurs de gros comme Michelin ou Renault, etc.

D'abord développés en Grande-Bretagne et en Irlande pour des raisons fiscales, les centres d'appels se multiplient aujourd'hui, en France, avec les aides offertes par les Conseils généraux ou régionaux, notamment sous prétexte de compenser les activités qui ferment. Ainsi dans les régions comme le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie, la Sarthe, la Lorraine, les Conseils régionaux ont offert des ponts d'or aux entreprises comme Atos, Téléperformance, Hays Céritex ou Qualiphone.

L'exemple d'Amiens où le Conseil régional a soutenu financièrement l'installation de plusieurs plateformes d'appels avec des écoles de formation, la construction d'un " réseau haut débit ", avec exonération de charges, zones franches, etc., est significatif de cette politique. Et c'est la même chose au Mans pour un centre Céritex ou à Villeneuve d'Asq pour un centre Atos qui ne travaille pratiquement que pour France Télécom ! Car, même une société comme France Télécom, qui a ses propres centres d'appels, fait appel à d'autres entreprises pour sous-traiter le trafic, par exemple quand des services démarrent avec une activité plus chargée pour un temps limité, ou avec des horaires sur lesquels elle ne veut pas mettre du personnel permanent : cela lui permet de faire des économies !

Pour le personnel, des salaires dérisoires, la flexibilité et la mobilité

Pour les téléopérateurs - dont les trois quarts sont des téléopératrices - il y a différentes situations : dans les centres intégrés à des entreprises comme France Télécom, Air France, la SNCF, les salaires dépendent des conditions collectives de ces entreprises. Dans les centres sous-traitants, comme Céritex, Téléperformance, Atos, les salaires sont au niveau du SMIC horaire.

Mais dans tous, le travail est mesuré au nombre d'appels pris, au temps passé à répondre au client, au nombre de contrats passés ou de ventes effectuées quand il s'agit de centres commerciaux, au nombre de dépannages effectués dans le meilleur temps quand il s'agit de centres qui s'occupent de "soutien technique" ou "hot line". La flexibilité des horaires est de règle (avec des horaires qui changent d'un jour à l'autre et d'une semaine à l'autre en fonction des contrats) de même que les contrats à temps partiel imposé en fonction du trafic. Et partout, que ce soit dans les centres intégrés ou sous-traitants, une partie du revenu mensuel est liée aux résultats individuels sous forme de primes de productivité ou de qualité, évaluées par les écoutes que font les responsables d'équipes ou superviseurs (le plus souvent, des hommes). Car la pratique des écoutes des communications est monnaie courante dans ces centres.

Quant à la mobilité, elle est quasi permanente : ainsi à Paris il n'y a plus qu'un seul centre Atos alors qu'il y en avait trois il y a trois mois ; mais l'entreprise essaye de gagner de l'argent en concentrant ses activités sur un seul bâtiment, ce qui évite plusieurs loyers. Il en est de même pour Téléperformance dont un centre, situé à Pantin, ne va durer que trois mois : le personnel venant d'être transféré de Paris devra trois mois plus tard se retrouver à Montreuil !

Des conditions de travail toujours sous pression

Les téléopérateurs sont tenus d'utiliser des phrases-type, déterminées par des " plans de dialogue " qu'ils doivent appliquer en permanence.

D'abord il faut " sourire au téléphone ", c'est la première des directives. Le client le perçoit, paraît-il... Ensuite, il ne faut pas se présenter en disant " Céritex, bonjour " ou " France Télécom, bonjour ". Il faut se présenter avec son nom ou son prénom, ou un pseudonyme, pour la bonne raison qu'il faut cacher que ce n'est pas forcément l'entreprise que les " clients " appellent qui leur répond ! Les centres d'appels en tant que tels, et les sociétés qui recourent à eux, aiment la discrétion sur cette pratique.

Ainsi, à Bagnolet, en région parisienne, pendant plusieurs années, les agents de France Télécom qui travaillaient dans un centre d'appels uniquement commercial lié par des contrats avec des entreprises aussi diverses que Renault, Pizza Hut, Picard Surgelés, Les Pompes Funèbres Générales, ING Banque, les produits de beauté d'une filiale Yves Rocher, ne devaient surtout pas dire " France Télécom, bonjour ". Ils devaient se présenter en fonction de l'appel qui apparaissait sur leur écran et se débrouiller pour y répondre en sautant d'un sujet à l'autre. Ainsi, une opératrice s'est vue demander par un client si le produit " anti-chute de cheveux " était efficace... cela après avoir traité un appel pour Pizza Hut !

Aujourd'hui, ce centre a été transféré sur un autre site et la direction de France Télécom a réglé le problème : le personnel employé est uniquement du personnel embauché par Qualiphone et il n'y a plus de personnel France Télécom, sauf... les responsables du service !

Avec ces conditions de travail, ces pressions permanentes, ces salaires dérisoires, cette flexibilité imposée, les contrats à temps partiel imposé, le personnel - qui est généralement jeune, la majorité ayant moins de 30 ans - n'hésite pas, quand il trouve un travail ailleurs à de meilleures conditions, à partir. Et le roulement du personnel est très important dans ce secteur : de 30 % à 50 % par an, surtout dans les entreprises sous-traitantes.

Les conditions d'une lutte d'ensemble sont évidemment difficiles, la formation de sections syndicales débute à peine. Néanmoins, il commence à y avoir des réactions des travailleurs contre les conditions de salaires et de travail imposées. Et il faudra bien que les patrons en tiennent compte un jour ou l'autre !

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