États-Unis : Une société et une justice qui se condamnent elles-mêmes16/03/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/03/une-1705.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Dans le monde

États-Unis : Une société et une justice qui se condamnent elles-mêmes

Dans un roman porté au théâtre en 1937, Des souris et des hommes, John Steinbeck racontait l'histoire d'un pauvre bougre, arriéré mental ne connaissant pas sa force, qui tuait une jeune femme sans même en avoir conscience. La justice américaine vient de resservir ces jours-ci un lamentable "remake" de cette histoire, d'autant plus tragique que cette fois-ci ce n'est pas de la fiction et que le pauvre bougre est un gosse noir de 14 ans.

En effet Lionel, 14 ans et 75 kg, gosse attardé, jouait à imiter les catcheurs que l'on voit à la télé avec une voisine, Tiffany, 6 ans et 20 kg. La fillette est morte, étouffée. La justice de l'Etat de Floride a voulu voir dans ce regrettable accident rien moins qu'un "meurtre avec préméditation". Le verdict vient de tomber : prison à perpétuité pour le jeune garçon !

Sa mère, une femme policier, et son avocat s'étaient vu offrir la possibilité, comme le permet la loi américaine, de négocier la peine à la baisse. Il leur était suggéré de plaider "coupable", en vertu de quoi la peine du jeune garçon ne dépasserait pas trois ans dans une institution spécialisée pour les mineurs délinquants. Mais la mère ne voyait pas pourquoi plaider "coupable" pour un acte qui n'était, à ses yeux, qu'un malheureux accident.

Ce choix de ne pas travestir la vérité a pris l'enfant au piège de la loi américaine, qui lui a infligé une peine maximum. L'irrationnelle "peur des adolescents", que les médias américains ont fait avaler à l'opinion ces dernières années, a fait le reste. Les statistiques d'une institution qui ne peut être soupçonnée de complaisance vis-à-vis des délinquants, en l'occurrence le FBI, ont beau indiquer que la criminalité des enfants et adolescents est nettement en régression depuis le début des années quatre-vingt-dix, puisque celle-ci aurait diminué, selon elle, d'au moins 30 % et les homicides causés par des adolescents de 56 % ; cela n'a pas empêché qu'en 1996 l'arsenal judiciaire contre les enfants de 12 ans et plus a été renforcé.

Il n'y a pas si longtemps la justice américaine avait voulu voir, chez un jeune garçon, un comportement pédophile sur sa jeune soeur. L'affaire, tout aussi aberrante, avait cependant trouvé une issue heureuse. Nul ne peut dire ce qu'il en sera de celle-ci. En effet, le sort du jeune Noir est maintenant entre les mains du gouverneur de l'Etat de Floride qui peut éventuellement diminuer la peine.

En attendant de prendre sa décision, et certainement au vu de l'émotion créée par cette affaire qui révèle une fois de plus les côtés aberrants de la justice "made in USA", le gouverneur de l'Etat de Floride, qui n'est autre que le frère cadet du président, a fait placer provisoirement le jeune garçon dans une institution spécialisée.

Cependant les Bush, père et frère, sont du genre à appliquer la loi dans toute sa rigueur, y compris ses aberrations, et le jeune Lionel risque de ne pas bénéficier de beaucoup de mansuétude.

Il irait alors rejoindre une population carcérale majoritairement composée de Noirs, parce que ceux-ci constituent la majorité des Américains les plus pauvres. Il ne manquerait pas alors d'y subir "des brutalités persistantes et injustifiées qui sont cautionnées par les autorités", selon les termes employés par un tribunal fédéral, en 1995, à propos du traitement infligé à des détenus des prisons d'Etat américaines.

La Floride est un des Etats américains les plus réactionnaires, mais il n'est pas le seul où les mineurs soient maintenant jugés dans des tribunaux pour adultes, soi-disant dans le but d'enrayer la violence des jeunes. La loi de 1996 autorise les Etats à traiter les jeunes comme des adultes quand ils commettent des délits, jugeant, d'après le rapporteur de la loi, que ce "sont les pires criminels que l'on trouve sur terre", et ce, malgré le recul de la criminalité infantile.

Une société qui a peur de ses enfants et ne peut leur offrir que la prison quand ils commettent des actes violents, au lieu de les éduquer ou, comme dans le cas de Lionel Tate, de les soigner, se condamne d'abord elle-même.

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