Génétique : Un curieux front commun pour entraver la recherche scientifique16/02/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/02/une-1701.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Leur société

Génétique : Un curieux front commun pour entraver la recherche scientifique

Faut-il interdire la recherche scientifique sur certains sujets ? C'est la question qu'ont posée ces jours derniers deux événements apparemment sans aucun rapport entre eux : les propos de Chirac se déclarant hostile à toute recherche sur le clonage humain à but thérapeutique, et le procès de Montpellier, au cours duquel José Bové devait s'expliquer sur le saccage, en juin 1999, d'une serre du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) dans laquelle était cultivé du riz transgénique.

Chirac et le clonage humain à visée thérapeutique

La prise de position de Chirac relève sans doute plus de la volonté de s'opposer à un projet de loi envisagé par Jospin que de ses propres convictions philosophiques. Il y a si peu de désaccords entre la droite et le gouvernement de la gauche dite "plurielle" en matière de politique économique et sociale, que les futurs rivaux pour les élections présidentielles de 2002 doivent bien rechercher ailleurs des différences. Mais même si Chirac a pris soin de déclarer qu'il s'opposait aux recherches sur le clonage à but thérapeutique (c'est-à-dire destiné à produire des cellules génétiquement semblables à celles d'un malade, pour suppléer l'absence ou la défaillance des siennes propres), parce que cela ouvrirait la voie au clonage reproductif (se donnant le but de fabriquer une copie génétiquement conforme d'un individu), ses propos ne pouvaient que plaire à la frange la plus réactionnaire de son électorat, à tous ceux qui prétendent, en vertu de leur vision religieuse des choses, qu'un embryon humain, dès le premier stade de son développement, est un être humain à part entière. C'est-à-dire, pour ces gens-là, doté d'une "âme éternelle".

Cela nous ramène vingt-cinq ans en arrière, quand une grande partie des députés de droite se déclarait, pour les mêmes raisons, hostile au projet de loi défendu par Simone Veil, légalisant enfin le recours à l'interruption volontaire de grossesse.

Dire qu'il s'agit de ne pas laisser se développer des techniques susceptibles de permettre le clonage reproductif chez l'être humain (clonage qui serait effectivement totalement dépourvu de sens et d'intérêt) n'est en effet qu'un piètre prétexte, puisqu'on pourrait en dire tout autant du clonage de certains animaux, qui peut au contraire présenter un grand intérêt pour la recherche scientifique, ou la production de certains médicaments.

La confédération paysanne et la recherche génétique

Il n'y a en apparence rien de commun entre la fraction la plus réactionnaire de l'électorat chiraquien, et les leaders contestataires de la Confédération paysanne. Pourtant, la mise à sac de la serre du Cirad allait bien au-delà de la dénonciation de l'utilisation des OGM, et elle posait elle aussi le problème de l'interdiction de la recherche scientifique dans certains domaines.

Il y a, dans le grand public, une crainte de l'utilisation des organismes génétiquement modifiés, non pas d'ailleurs dans tous les domaines, mais essentiellement dans celui de l'alimentation.

Quasiment personne ne dénonce le fait que les scientifiques aient "génétiquement modifié" des bactéries, pour leur faire produire par exemple une copie conforme de l'insuline humaine, bien moins susceptible d'entraîner une intolérance que l'insuline de porc, ou une hormone de croissance ne risquant pas, comme celle obtenue à partir d'hypophyses de cadavres, de véhiculer avec elle virus ou autres prions. Mais par contre la présence, dans l'alimentation, de soja ou de maïs transgénique crée incontestablement des craintes. Que celles-ci soient justifiées ou non, c'est de toute manière le droit des consommateurs de savoir ce qu'il y a dans leur assiette. Comme c'est évidemment aussi le droit de tous ceux qui pensent qu'il y a des risques à répandre dans la nature des graines génétiquement modifiées (que ce risque soit réel ou pas), de réclamer qu'on prenne auparavant le temps d'étudier tous les inconvénients possibles de ces procédés, et qu'on ne cède pas à l'impatience des trusts de l'agro-alimentaire avides d'augmenter leurs profits.

Mais l'opération menée en juin 1999 contre le laboratoire du Cirad allait bien au-delà de cela, et derrière cette "action directe", se profilaient des idées qui n'avaient rien de progressistes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les deux pages d'interview de l'un des co-accusés de José Bové au procès de Montpellier, René Riesel, publiées dans le quotidien Libération des 3 et 4 février 2001.

Une argumentation réactionnaire

René Riesel, tel que le présente Libération, a été secrétaire national de la Confédération paysanne de 1995 à 1999. Cet ancien étudiant de Nanterre, membre de l'Internationale situationniste dans les années qui ont suivi 1968, s'est reconverti dans l'élevage des moutons en Lozère. Ses propos ne reflètent peut-être pas exactement ce que pense la Confédération paysanne, qu'il a quittée l'an dernier. Mais il était néanmoins l'un des participants, au côté de José Bové, lors d'une action de la Confédération paysanne qui allait dans le sens de ses prises de position. Il a déclaré à Libération, selon ce journal : "Ma critique de la techno-science est effectivement radicale : recherche publique, recherche privée, peu importe, quand ces gens, littéralement, ne savent pas ce qu'ils font, bricolent - sans en avoir de leur propre aveu, la moindre compréhension théorique - des chimères génétiques aux effets imprévisibles." Qu'un certain Pasteur ait en son temps "bricolé", "sans en avoir la moindre compréhension théorique", un vaccin contre la rage, ne saurait ébranler notre philosophe, qui poursuit : "Le sabotage contre le Cirad était une attaque frontale contre des recherches publiques, afin de casser le mythe selon lequel une recherche contrôlée citoyennement pourrait être régulée : il faut commencer par comprendre que cette technologie est par essence incontrôlable. Le fameux "principe de précaution" dont on parle tant, nous l'appliquons, de la seule manière dont il peut l'être".

Ce que Riesel rejette, ce n'est d'ailleurs pas seulement la recherche en génétique, c'est tout ce qu'a apporté le développement économique des deux derniers siècles : "L'industrialisation est depuis la "révolution industrielle" en Angleterre une rupture fondamentale avec l'essentiel du processus d'humanisation. Sans civilisation paysanne, c'est la civilisation tout court qui se défait, on le constate aujourd'hui. Et la signification historique de l'industrialisation, sa vérité profonde devenue manifeste au XXe siècle, c'est la destruction : avec Auschwitz et Hiroshima, on a les deux fonts baptismaux sur lesquels a été portée l'époque contemporaine."

La barbarie nazie ne serait donc pas une conséquence des choix de l'impérialisme allemand, ni Hiroshima due à la politique de l'impérialisme US, tout cela résulterait de "l'industrialisation". Si l'on comprend bien notre philosophe, la solution de tous nos maux serait de revenir à la société paysanne du XVIIe siècle. Le problème, c'est qu'à cette époque-là, la terre comptait moins de deux milliards d'habitants, et que même les pays les plus riches connaissaient des famines périodiques. Faudrait-il demander à quelques milliards de nos citoyens de se faire hara-kiri pour que notre planète puisse renouer avec "l'humanisation", telle que la conçoit l'ancien secrétaire national de la Confédération paysanne ?

Comme quoi, être contestataire n'est pas incompatible avec le fait d'être aussi socialement réactionnaire qu'un président de la République de droite.

Au risque de nous faire traiter une fois de plus de "ringards", nous continuons à penser que ce n'est pas dans un retour à un passé plus ou moins mythique, mais dans une réorganisation socialiste de l'économie, que les hommes du XXIe siècle pourront trouver des solutions aux problèmes de leur temps.

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