Il y a 10 ans - Haïti, le 7 février 1991 : Aristide élu09/02/20012001Journal/medias/journalnumero/images/2001/02/une-1700.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C166%2C228_crop_detail.jpg

Divers

Il y a 10 ans - Haïti, le 7 février 1991 : Aristide élu

Le 7 février 1991, Jean Bertrand Aristide prenait ses fonctions de président de la République à Haïti. Cinq ans après la chute de Duvalier et de sa sanglante dictature, ce jeune prêtre incarnait l'espoir des couches les plus pauvres de la population. Il était connu comme un défenseur intransigeant des pauvres, et avait échappé à plusieurs attentats pour s'être opposé au retour des hommes de main de Duvalier, les sinistres " tontons macoutes ", qui continuaient à sévir.

Le raz de marée électoral

Sa candidature surprise aux élections présidentielles du 16 décembre précédent avait transformé du tout au tout une campagne à laquelle la population pauvre restait jusqu'alors étrangère. Depuis qu'elle s'était soulevée pour renverser Duvalier, elle avait eu tout le temps d'être déçue par le régime qui lui avait succédé. Les chefs militaires avaient occupé l'un après l'autre le palais présidentiel : Namphy, Avril... Derrière eux, une armée rapace terrorisait la population. Chaque caserne était le centre d'une féodalité prospérant sur les trafics de drogue et les contrebandes en tout genre. Des bandes armées rivales, composées de militaires ou protégées par des officiers, assassinaient les militants et faisaient régner la peur dans les quartiers populaires. Dans les campagnes, les gros propriétaires continuaient à accaparer les terres et l'eau d'irrigation. Leurs groupes de nervis armés, souvent d'anciens macoutes, maintenaient les paysans dans une misère sans nom. Aussi, lorsque le dernier en date des chefs militaires au pouvoir, Abraham, se décida sous la pression des États-Unis à donner enfin une façade parlementaire au régime, cela ne suscita guère d'enthousiasme parmi les travailleurs haïtiens. Ils connaissaient trop bien les leaders politiques qui entrèrent alors en scène, frétillants d'impatience d'accéder à leur tour à la mangeoire. Ils n'avaient absolument aucune illusion sur la capacité de ces gens-là à changer quoi que ce soit à leur sort. C'est l'extrême droite formée par les anciens macoutes qui commença à changer ce climat lorsqu'elle se constitua en parti et que son chef, l'ancien ministre de l'Intérieur de Duvalier, Roger Lafontant, se porta candidat au pouvoir. En effet, même déçue, la population pauvre de Haïti était sûre d'une chose : elle ne voulait pas du retour au pouvoir des macoutes. C'est à cette aspiration populaire que correspondit la candidature de Jean-Bertrand Aristide. Issu du peuple, il n'avait cessé de dénoncer les inégalités sociales, dans les dernières années du régime de Duvalier comme sous ses successeurs. Il s'était battu contre les anciens macoutes qui continuaient à terroriser la population, et ceux-ci lui en avaient fait payer le prix. Lorsqu'il se présenta, il annonça que sa candidature déclencherait un véritable torrent, et ce fut le cas, du moins sur le plan électoral. La population pauvre se mobilisa en masse pour s'inscrire sur les listes électorales, pour assister à ses meetings, et même pour transformer ceux de ses rivaux en réunions pro-Aristide. Le jour du vote, ce furent les travailleurs qui empêchèrent les fraudes, et Aristide fut élu avec 67 % des voix, six fois plus que son premier concurrent, Bazin, l'homme des Etats-Unis.

La population descend dans la rue

Lafontant et ses hommes de main n'avaient pas l'intention de s'incliner et de laisser le pouvoir à Aristide, qu'ils haïssaient plus que tout. Le 7 janvier donc, avant même qu'Aristide prenne ses fonctions, ils firent une tentative de coup d'Etat. Ils espéraient que les chefs militaires, dont ils connaissaient les sympathies pour l'extrême droite, leur emboîteraient le pas. Mais dès l'annonce du coup d'Etat, les masses pauvres haïtiennes commencèrent à affluer vers le palais présidentiel, armées de ce qui leur tombait sous la main : machettes, couteaux, blocs de pierre. Elles isolèrent le Grand Quartier Général, bloquèrent le chemin de l'aéroport, et commencèrent à s'en prendre aux macoutes notoires avec une violence supérieure même à celle qui avait provoqué la chute de Duvalier. C'est ce qui incita l'état-major, après de longues heures, à condamner le coup d'Etat et à mettre enfin des troupes en mouvement contre Lafontant et ses hommes. Les masses n'avaient pas attendu cette réaction. Elles s'étaient mobilisées dans la rue et, de fait, y avait remporté une victoire. Mais Aristide, lui, n'eut de cesse de valoriser le rôle de l'armée dans l'échec du coup d'Etat et de lui décerner des brevets de " sauveur de la démocratie ". Les manifestants furent priés de rentrer chez eux et de laisser la police nettoyer la ville des " pillards ", souvent des habitants des quartiers pauvres qui s'en prenaient aux magasins des macoutes connus, ou qui continuaient à régler leur compte à ceux-ci. Et alors que ses partisans demandaient à Aristide de prendre la tête du pays tout de suite, celui-ci s'en garda bien et attendit l'échéance légale du 7 février.

Aristide président désarme les travailleurs

La présidence d'Aristide ne dura que quelques mois. Dans la foulée de son attitude lors des événements du 7 janvier, il se fit le propagateur inlassable du " mariage armée-peuple ". Il ne chercha pas à préparer les pauvres à l'affrontement inévitable avec les militaires. Il ne voulut pas profiter de la sympathie dont il bénéficiait chez une partie des soldats issus de la paysannerie pour s'appuyer sur eux contre leurs officiers d'extrême droite. Il s'évertua au contraire à expliquer qu'avec son élection, l'armée avait changé de nature et était désormais moins corrompue et plus respectueuse de la démocratie. Sur le plan économique, il ne fit rien non plus pour mettre fin aux criantes injustices sociales. Mais par contre, pour donner le change aux classes pauvres, il se répandit en discours incendiaires, réussissant à inquiéter les privilégiés qui le haïssaient sans pour autant donner aux pauvres des forces supplémentaires. Le 30 septembre 1991, Raoul Cédras, un de ces officiers soi-disant " démocrates et modernes " promus par Aristide, le renversait. Ce ne fut pas une simple démonstration militaire, mais un coup d'Etat sanglant où toute la population fut visée, et il fut suivi d'une répression massive. Aristide avait finalement joué le rôle qu'avait joué Allende au Chili, désarmer les travailleurs, mais il ne subit pas le même sort. Il s'en sortit vivant grâce aux ambassades occidentales. Les dirigeants américains estimaient qu'il pouvait resservir, et ce fut effectivement le cas. Devenu un instrument de l'impérialiste américain, il ne cessa de prôner la " réconciliation nationale " avec les bourreaux du peuple haïtien. Cela lui valut d'être ramené en Haïti trois ans plus tard par le corps expéditionnaire américain pour terminer son mandat.

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